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Pourquoi le Québec perd le contrôle

6/12/2022

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Louiselle Lévesque
 
Depuis des semaines, le dossier de l’immigration défraie la manchette au Québec. Et pour cause, cet enjeu aux multiples facettes tant politiques qu’économiques et sociales touche au cœur même de la capacité du Québec de protéger sa culture et sa langue, le français.
 
Le débat s’est récemment enflammé à la suite de la déclaration de François Legault au Congrès de la Coalition Avenir Québec à Drummondville, le 28 mai dernier. Le premier ministre a évoqué le danger d’une « louisianisation » du Québec en prenant pour cible le programme de réunification des familles, géré par le gouvernement fédéral, et qui serait susceptible de mettre en danger la survie de la nation québécoise.
 
Cette déclaration apparait pour le moins surprenante pour ne pas dire incompréhensible puisque ce programme n’est responsable de l’arrivée au Québec que de quelques milliers de personnes chaque année.
 
Difficile donc de croire qu’il y a, sur cette base, péril en la demeure sous prétexte qu’une bonne partie de ces immigrants qui viennent rejoindre leurs proches établis au Québec ne parlent pas français. Et qu’il faille, en se servant de cet exemple comme fer de lance, réclamer de toute urgence le rapatriement d’Ottawa des pleins pouvoirs en matière d’immigration.
 
Plutôt que d’éclairer le débat, les propos du premier ministre ont eu l’effet de l’embrouiller davantage car de toute évidence le problème se trouve ailleurs.
 
Le portrait
 
Depuis le début mai, le ministère de l’Immigration du Québec a en main une étude qu’il a commandée à l’économiste Pierre Fortin et qui tire la sonnette d’alarme sur « la politique d’immigration fédérale expansive » et ses conséquences pour le Québec.
 
Le professeur émérite de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) parle d’une véritable explosion du nombre d’immigrants temporaires c’est-à-dire des travailleurs et des étudiants étrangers admis au Canada. En 20 ans, le phénomène a été multiplié par six au pays et par cinq au Québec. Mais il s’est surtout accéléré depuis 2015 avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Justin Trudeau.
 
Ces programmes d’immigration temporaire dont celui sur la mobilité internationale créé en 2016 ont été développés par le gouvernement fédéral afin de répondre notamment aux besoins des milieux d’affaires qui font face à des pénuries de main-d’œuvre. C’est, selon les termes de Pierre Fortin, un véritable pipeline qui se déverse sur le Québec, l’empêchant de gérer son immigration permanente comme il le faisait auparavant. « Ça crée toutes sortes de problèmes. Voilà la situation. C’est certain qu’ils vont avoir à prendre des décisions importantes dans un avenir rapproché. »
 
Des chiffres qui parlent
 
Pierre Fortin affirme que le Québec est littéralement inondé d’immigrants temporaires. « Au total, par exemple en 2019, il est rentré 93,000 immigrants au Québec. Ça c’est quand tu fais la somme des immigrants permanents (environ 50,000) qui sont les entrées habituelles plus l’augmentation de l’immigration temporaire. »  
 
Le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet a de son côté avancé le chiffre de 177,000 immigrants temporaires qui se trouvaient sur le sol québécois en 2021, des étudiants et des travailleurs ainsi que leurs conjoints et leurs enfants qui, faut-il le rappeler, ont le droit de fréquenter l’école anglaise.
 
Or cette immigration temporaire est devenue une voie de passage menant à l’obtention du statut de résident permanent. Pierre Fortin a constaté dans son étude que 85 % des immigrants permanents qui ont été acceptés par Québec en 2019 étaient des candidats ayant bénéficié au préalable d’un certificat de séjour temporaire.
 
Un des problèmes que l’on a, ajoute le professeur, c’est que l’on dispose de peu d’information sur les compétences linguistiques de ces immigrants temporaires devenus résidents permanents. Il y a 40% des dossiers de travailleurs admis en vertu du Programme de mobilité internationale où l’information est manquante. Impossible dit-il de vérifier si la connaissance du français est suffisante. Il n’y a aucune indication à ce sujet. Québec fonctionnerait à l’aveugle.
 
L’économiste fait valoir que « le Québec pourrait en principe refuser d’accorder un statut permanent à ces immigrants temporaires mais en pratique, c’est une autre histoire. Québec ne peut pas vraiment dire ça parce que sur le plan politique c’est vraiment cruel de faire ça ».
 
À qui la faute ?
 
L’immigration est une compétence partagée entre Québec et Ottawa dont les balises sont définies dans l’accord signé par les ministres Monique Gagnon-Tremblay et Barbara McDougall en 1991. Cet accord reconnait au Québec un statut distinct et concrétise l’une des cinq conditions contenues dans l’Entente constitutionnelle du lac Meech malgré l’échec qui a scellé le sort de cette l’entente.
 
C’est un document d’une portée quasi constitutionnelle affirme André Burelle qui a été le négociateur en chef pour le gouvernement fédéral. L’accord de 1991 est doublement cadenassé, précise-t-il puisqu’il ne peut être modifié sans l’assentiment des deux parties. C’est dire sa solidité.
 
En vertu de cet accord, la sélection des immigrants destinés au Québec, sauf pour les réfugiés et les cas portants sur le regroupement familial, relève exclusivement de la province de même que l’accueil et l’intégration linguistique et culturelle de ces immigrants.
 
Le droit de refus
 
L’ancien haut-fonctionnaire rappelle qu’il y est écrit en toutes lettres que « le consentement du Québec est requis avant l’admission dans la province de tout étudiant étranger et de tout travailleur temporaire étranger » . Ce pouvoir que détient le Québec était déjà inscrit dans l’Entente Cullen-Couture signée en 1978 tout comme la prérogative de rendre son agrément conditionnel au respect de quotas et de critères en matière linguistique. C’est donc un état de fait depuis plus de quarante ans.
 
André Burelle réitère de vive voix ce qu’il écrit et dit depuis nombre d’années dans des textes parus dans les journaux ou encore dans une allocution devant l’Association du Barreau canadien en 1993 que « le Québec a le droit de s’opposer à l’octroi d’un permis de séjour temporaire aux étudiants et travailleurs étrangers qui frappent à sa porte ».
 
Concrètement, le Québec a la responsabilité exclusive de sélectionner les immigrants qui lui sont destinés sauf pour les revendicateurs du statut de réfugié et les cas portants sur le regroupement familial qui eux relèvent d’Ottawa. Et même pour cette dernière catégorie, l’ancien chef négociateur affirme que l’accord donne au Québec la possibilité d’encadrer les pouvoirs  du fédéral pour qu’il tienne compte de ses préoccupations linguistiques et culturelles.
 
Une fausse piste
 
Ce n’est donc pas exact de dire qu’Ottawa mène seul le bal. Et nul besoin, ajoute André Burelle, d’ouvrir cet accord pour trouver une solution à ce problème. Il suffit selon lui de convoquer le comité mixte prévu dans l’accord pour le saisir du dossier. C’est le rôle de ce comité de trouver des solutions aux litiges découlant de son application ou de son interprétation.
 
Pourquoi donc se lancer dans une bataille pour obtenir de nouveaux pouvoirs alors que Québec n’utilise pas les pouvoirs qu’il possède déjà, se demande Burelle. Et il s’étonne que le gouvernement du Québec ne soit pas conscient des moyens qui lui sont conférés par l’entente et qui lui permettraient d’exercer le contrôle qu’il dit ne pas avoir.
 
Comment en effet expliquer cette méconnaissance de la part des autorités québécoises dans un domaine aussi névralgique ? L’ancien haut-fonctionnaire risque une hypothèse : il y a eu selon lui au ministère québécois de l’Immigration une perte de mémoire institutionnelle ainsi qu’une perte d’expertise puisque ce ministère a, comme plusieurs autres, grandement souffert des mesures d’austérité imposées par le gouvernement de Lucien Bouchard pour l’atteinte du déficit zéro à la fin des années 1990.
 
Le Québec n’a pas vu venir
 
Anne-Michèle Meggs est une ancienne fonctionnaire du ministère de l’Immigration du Québec. Elle a été directrice de la planification et de la reddition des comptes jusqu’en 2019. Elle estime que le Québec a fait l’erreur, lorsque l’immigration temporaire n’avait pas autant d’ampleur, de ne pas prendre le dossier assez au sérieux. « Tout le monde était tellement convaincu que l’immigration temporaire n’était pas une menace, [ce] n’était pas une préoccupation. »
 
Elle s’appuie notamment sur le fait que dans sa version initiale en 1977, la Loi 101 donnait le droit aux personnes détentrices d’un permis de séjour temporaire d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise, droit qu’elles ont conservé dans la Loi 96 qui vient d’être adoptée même s’il est maintenant limité à trois ans et n’est pas renouvelable.
 
Absence de règles
 
Anne-Michèle Meggs convient elle aussi que le Québec a le droit de refuser des immigrants temporaires et le pouvoir de rendre conditionnel son consentement à leur entrée sur son sol. Le Québec pourrait décider par exemple d’imposer un plafond au nombre de permis de séjour temporaire accordés chaque année comme il le fait pour l’immigration permanente.
 
Et pour mieux contrôler l’afflux d’étudiants internationaux, il pourrait exiger que les candidats sélectionnés aient été admis dans un des établissements d’enseignement supérieur désignés par la province de façon à s’assurer qu’une bonne partie d’entre eux fréquenteront des CEGEPS ou des universités francophones. Toutes des mesures sont déjà à la portée du gouvernement.
 
André Burelle suggère de son côté que les étudiants étrangers qui se trouvent déjà au Québec soient tenus d’avoir suivi un programme d’études en français pour obtenir le statut de résident permanent. « Il suffirait, dit-il, à nos gouvernants d’avoir le courage politique de poser un tel geste. »
 
Et il déplore le laisser-faire des autorités québécoises qui ne prennent pas leurs responsabilités en confiant aux employeurs et aux établissements d’enseignement supérieur le pouvoir de choisir qui pourra venir travailler ou étudier au Québec en fonction de leurs propres intérêts et ce, sans se soucier de l’impact de ce flot migratoire sur l’ensemble de la société.
 
La marginalisation
 
Le déclin du français n’est pas le seul défi auquel le Québec, aux prises avec une forte dénatalité, est confronté. Il y a aussi le danger d’une accélération de sa minorisation au sein du Canada, une autre conséquence de la politique d’immigration expansive d’Ottawa identifiée par Pierre Fortin. « Si le Canada atteint les 450,000 immigrants comme Ottawa dit vouloir en accueillir à partir de 2024 et si le Québec reste avec une absorption de 50,000 par année, ça va entrainer une perte de son poids démographique. »
 
Dans la foulée des négociations sur l’Accord du lac Meech, le Québec réclamait un quota de 25% des immigrants admis au Canada alors que, année après année, la part des entrées en sol québécois n’a pas dépassé les 20% et ce, même si Ottawa s’est engagé dans l’accord de 1991 à faire de son mieux pour préserver le poids démographique du Québec. La population québécoise représentait 28% de l’ensemble canadien en 1970 et 22% en 2020. Cette décroissance va se poursuivre et même s’accélérer, et avec elle l’influence politique du Québec au sein de la fédération canadienne.
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Spécial Ukraine

6/12/2022

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Des ruines et des devises fortes

Claude Lévesque
 
Que restera-t-il de l’Ukraine? Qui paiera pour la reconstruction ?
La Russie s’est acharnée contre les gares, les aéroports et les usines, mais aussi contre les hôpitaux, les écoles, les habitations et les édifices patrimoniaux.
 
Fin mars, par la voix de la ministre de l’Économie, Ioulia Sviridenko, le gouvernement ukrainien évaluait déjà à 515 milliards d’euros (708 milliards $CAN ou 556 milliards $US) « l’impact direct de la destruction ».[1]  Ce chiffre a souvent été revu à la hausse pour une raison évidente : le festival de la destruction s’est poursuivi.
 
Quelques semaines plus tard, un conseiller financier du gouvernement ukrainien, Daniel Bilak, avançait le chiffre de 1000 milliards $US (1270 milliards $CAN] pour tout ce qui a été détruit.[2],
 
Ordre de grandeur
 

Même si les évaluations divergent et risquent d’être encore revues à la hausse, on s’entend au moins sur l’ordre de grandeur. Et sur le fait que le montant continuera d’augmenter puisque Vladimir Poutine ne semble pas prêt à mettre fin à son « opération militaire spéciale ».
 
Les chiffres avancés ne tiennent pas tous compte du manque à gagner causé par cette guerre qui a été imposée à l’Ukraine : les agriculteurs et les ouvriers qui ne produisent plus parce qu’ils sont au front, le blé et les autres grains qui ne peuvent pas sortir du port d’Odessa, etc
 
Et c’est évidemment sans compter ce qui ne se chiffre ni en roubles, ni en dollars, ni euros, à savoir : les blessés, les morts, les deuils, les vies brisées...
Le gouvernement ukrainien a mis en ligne un site Internet dans lequel il demande aux citoyens d’envoyer de l’information susceptible de l’aider à estimer les dommages subis.
 
La guerre, la guerre, c’est moins cool qu’autrefois !
 
Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale que les philosophes et les juristes ont cessé de considérer comme parfaitement légitime pour un État le fait d’utiliser la guerre pour exercer sa souveraineté et pour faire avancer ses intérêts.
 
Le Pacte de la Société des Nations a déclaré illicites la guerre d’agression, la guerre lancée sans qu’une procédure de règlement pacifique n’ait suivi son cours et la guerre livrée contre un État qui suit toutes les recommandations de la SDN.
 
En signant le pacte Briand-Kellog en 1939, 63 États renonçaient « à la guerre en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ».
 
Plus tard, la Charte des Nations unies affirmera que les membres de l’Organisation « s’abstiennent dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force ». À quelques exceptions près, qui se sont avérées assez nombreuses…
 
Des actions contre Moscou
 
En mars, l’Ukraine a déposé une plainte à la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, qualifiant l’invasion russe d’illégale au motif qu’il n’y a pas eu de génocide dans le Donbass comme le prétend Moscou.
 
Kyiv a demandé à la Cour d’ordonner d’urgence la fin des opérations militaires russes en Ukraine avant de se prononcer sur le fond. La CIJ a effectivement ordonné à la Russie, le 16 mars, de suspendre immédiatement ses actions militaires en Ukraine. Déjà, le 2 mars, l’Assemblée générale de l’ONU avait dénoncé l’agression de la Russie en vertu du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte de l’organisation.
Le problème, c’est que la Cour internationale de justice ne peut pas contraindre un État, jugé souverain, à comparaître devant elle, pas plus que l’obliger à payer des réparations.
 
La CIJ peut bien condamner la Russie in absentia, mais la victoire restera morale pour l’Ukraine. Tout comme les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU. Une résolution du Conseil de sécurité est en principe exécutoire, mais un texte qui condamnerait la Russie pourrait difficilement voir le jour car cette dernière, en tant que membre permanent du Conseil, dispose du droit de véto.
 
Batailles juridiques

Peut-on agir sans que Moscou accepte de payer pour les pots cassés? Les avis divergent. On essayera probablement de transformer en saisie le gel de comptes appartenant à la banque centrale de Russie et auquel ont procédé divers pays, mais des batailles juridiques au plus haut niveau risquent de durer des années.

Dans une tribune publiée par le quotidien Libération, Jean-Marc Thouvenir, avocat conseil de l’Ukraine devant la Cour internationale de Justice, a écrit : « Bien sûr, personne n’enverra de chars à Moscou pour forcer le président russe, Vladimir Poutine, à payer ses dettes. Mais des fonds de la Banque centrale de Russie sont disséminés dans le monde […]».

L’Atlantic Council, un groupe de réflexion américain, a estimé à 350 milliards de dollars US les réserves appartenant à la banque centrale russe et qui ont été gelés aux États-Unis, au Royaume Uni et dans les pays européens.[3] ¸

L’Atlantic Council s’interroge sur la légalité d’une telle saisie en vertu des lois actuelles, mais fait remarquer qu’on a déjà agi de la sorte à l’égard de l’Iraq, de l’Afghanistan et de l’Iran.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky déclarait, le 3 mars 2022 « Nous allons reconstruire chaque immeuble, chaque rue, chaque ville et nous disons à la Russie : Apprenez le mot réparation. Vous allez nous rembourser pleinement tout ce que vous avez fait contre notre État, contre chaque Ukrainien. »
​
En avril, la Commission européenne avertissait plutôt que les pays du continent devaient s’attendre à financer, sous forme de dons ou de prêts, la majeure partie de la reconstruction de l’Ukraine[4]
Les institutions financières internationales, dont la Banque Mondiale et le Fonds monétaire international, seront également appelées à contribuer. Et éventuellement, bien sûr, le secteur privé, qui ne se fera probablement pas prier si les profits sont en vue.
 
Tous ces intervenants ont souligné ce qu’ils voient comme une condition sine qua non: celle de lancer des réformes visant à faire disparaître la corruption jugée endémique en Ukraine. Une noble intention mais qui peut servir d’excuse pour se traîner les pieds ou pour se montrer un peu moins généreux.


[1] Guerre en Ukraine. Qui financera la reconstruction du pays, François Grégoire, 13 avril 2022, Ouest-France,]

[2] “Entire cities will have to be rebuilt : how Ukraine is preparing for reconstruction”, Viola Caon and Sebastian Shebadi, 22 avril 2022, www.investmentmonitor.ai

3. Making Putin pay: Russia must finance the rebuilding of post-war Ukraine, Kira Rudik, 22 mai 2022,www.atlanticcouncil.org

[4]Europe Expects to Pay Bulk of Ukraine’s Reconstruction Costs Jorge Valero, 19 avril 2022, www.bloomberg.com ​
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OTAN : et deux de plus

6/12/2022

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Christian Tiffet
Serge Truffaut

Le 18 mai, les gouvernements de la Finlande et de la Suède déposaient leurs demandes d’adhésion à l’OTAN. Il n’en fallait pas moins pour que ce geste soit qualifié d’historique des deux côtés de l’Atlantique et qu’il aiguise simultanément les aigreurs de Poutine et des siens. Aigreurs qui se sont traduites illico, via le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, en menaces.

Le geste évoqué était et reste d’autant plus historique qu’il se distingue des adhésions de la Pologne, Hongrie, Lituanie et autres par une rupture particulièrement spectaculaire, car dans les cas de la Suède et de la Finlande, leurs gouvernements ont coupé le cordon ombilical qui les liait avec la stricte neutralité depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
​

Au passage on retiendra que la neutralité en question a toujours été désignée par les initiés en choses militaires de neutralité armée. En effet, tant la Suède et la Finlande ont veillé depuis des décennies à se doter et entretenir une défense digne de ce nom.

On retiendra également, qu’antérieurement à la demande d’adhésion ces deux pays avaient la statut de partenaires de l’OTAN. En d’autres termes, les uns et les autres se connaissent passablement.

Du non au oui

Spectaculaire, le geste l’est également par la transformation en quelques semaines seulement d’une négation en une affirmation, une confirmation. Par un retournement non exempt d’éclats. On s’explique. Le 7 novembre 2021, le ministre suédois de la Défense Peter Hultqvist assurait…

Assurait « qu’il n’y aura pas de demande d’adhésion tant que nous aurons un gouvernement social-démocrate. Je ne serai certainement jamais impliqué dans un tel processus tant que je serai ministre de la Défense. Je peux vous le garantir à tous ! » Tous ? Les membres de son parti réunis alors en congrès. 

Mais voilà que trois semaines plus tard, le gouvernement américain d’abord, le britannique ensuite dévoilaient des clichés révélant une imposante concentration de troupes russes à la frontière avec l’Ukraine. Puis, le 17 décembre 2021 Poutine lançait un ultimatum : il n’y aura pas de retrait militaire tant et aussi longtemps que l’OTAN et les États-Unis n’auront pas pris l’engagement de mettre un terme à l’élargissement de l’alliance Atlantique.

Le 1er janvier, le président finlandais Sauli Niinistö formulait à l’endroit de Poutine une réponse à l’enseigne du muscle : « La liberté de manoeuvre et de choix de la Finlande inclut également la possibilité d’un alignement militaire et d’une demande à devenir membre de l’OTAN, si nous en décidons ainsi .»

« Devenir membre de l’OTAN », le « gros  » mot était laché. Il obligeait surtout les autorités suédoises à sortir du bois. Le 6 janvier, la première ministre de Suède Magdalena Andersson faisait une intervention à ranger à la rubrique du « peut-être ben que oui, peut-être ben que non » qui provoqua une réaction en chaîne au sein des partis de l’opposition qui, eux, voulaient imiter la Finlande.

Le 24 février, les troupes russes attaquaient l’Ukraine. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, Janne Kuusela, directeur général du ministère finlandais de la Défense, confia alors que « les masques sont tombés. Jusque-là nous pensions que la meilleure façon de maximiser notre sécurité était d’avoir une forte capacité de défense, d’être un partenaire très proche de l’OTAN et de maintenir une relation de travail efficace avec la Russie. Le 24 février a bouleversé notre façon de penser ».

La Finlande en pointe

L’opinion publique se mit au diapason. En janvier 28 % seulement des Finlandais étaient favorables à l’adhésion. Dans les jours qui suivent le 24 février, ils étaient 53 %. Début mars, ils sont 62 % et 76 % début mai. Ce souhait marqué des Finlandais pour l’adhésion à l’OTAN va avoir un effet considérable au royaume de Suède : forcer les autorités ainsi que la population à se brancher.

Chercheur finlandais à l’université suédois de défense, Tomas Ries a souligné dans un entretien au Monde, « les Finlandais avaient un plan pour ce genre de situation et ils l’ont activé » alors que « les Suédois n’étaient pas du tout préparés et ont dû rapidement changer de politique ».

En effet, le 6 mars Stockholm a formé un groupe de travail sur la question qu’a dirigée la ministre des Affaires étrangères Ann Linde. Le 13 mai, il remettait son rapport final. La principale conclusion ? Il faut imiter la Finlande. Évidemment, cette conclusion a heurté particulièrement les tenants de la social-démocratie à la suédoise et donc de la neutralité qui l’a toujours singularisée. 
​

Mais le 16 mai, six des huit formations politiques approuvaient la demande d’adhésion alors que 188 députés finlandais sur 200 en faisaient autant. Si la Turquie ne joue pas les rabat-joie, ces deux pays devraient devenir membres de l’OTAN d’ici quelques mois.

Constats militaires

Dans une longue opinion rédigée ces jours-ci pour la revue Foreign Affairs, Carl Bildt, ex-premier ministre de la Suède, propose un inventaire des réalités politiques et militaires très riche en enseignement. Un, qu’en rejoignant l’Union européenne en 1995 ces deux pays avaient passablement ébranlé le principe de stricte neutralité. Deux, depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie tant la Finlande que la Suède ont amplifié leur coopération militaire avec les États-Unis, le Royaume-Uni et l’OTAN.

Trois, depuis une dizaine d’années les forces aériennes de ces deux nations mènent des exercices hebdomadaires avec la Norvège, membre de l’OTAN depuis des lunes. Quoi d’autre ? Bildt prend soin de rappeler que les additions militaires de la Finlande et de la Suède, imposantes en nombre et en qualité, vont établir à 250 avions le nombre de jets de combat présents dans la sphère Baltique.

Rappelons au passage que la Suède a conçu et fabriqué un des meilleurs avions qui soit: le Gripen.

Cela précisé, il est fort probable que lors du sommet de l’OTAN qui se tiendra à la fin du mois à Madrid, ses membres vont modifier pour la huitième fois dans l’histoire de cette institution son Concept stratégique. Comme dirait La Palice : à suivre.
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Chronique d'une famine annoncée

6/12/2022

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Catherine Saouter
Plus de cent jours après l’invasion russe de l’Ukraine les ports céréaliers de la mer Noire restent bloqués et Vladimir Poutine propose d’autoriser le transit du blé en contrepartie d’un assouplissement des sanctions visant son pays. L’Occident va-t-il accepter un tel marché ? En attendant …
 
 Antoine Char
 
« Qu’ils mangent de la brioche ! », aurait dit Marie-Antoinette lorsqu’on lui susurra que le peuple de France n’avait plus de pain. La citation apocryphe aurait faussement été attribuée à l’épouse de Louis XVI, tous deux guillotinés. Qu’importe. Elle est reprise à toutes les sauces à chaque émeute de la faim dans le monde.
 
Avec la guerre en Ukraine, un des plus grands greniers à blé de la planète, est-il minuit moins cinq pour les pays du Sud qui souffrent déjà des retombées économiques de ce conflit déclenché le 24 février par la Russie de Vladimir Poutine ?
 
Les aiguilles pointent en tout cas dans la mauvaise direction surtout pour l’Afrique qui importe la moitié de son blé de l’Ukraine et de la Russie.
 
« Les pays du Sahel vont beaucoup souffrir, même si on peut penser que la Russie qui tente de pénétrer très fortement dans cette région va chercher à améliorer son image en leur livrant à conditions avantageuses son propre blé », estime Bruno Parmentier, ingénieur et économiste français, auteur de Nourrir l’humanité et de Faim Zéro (échange de courriels).
 
« Tsunami de famine »
 
Cela fait des semaines que l’ONU tire la sonnette d’alarme sur un « tsunami de famine » particulièrement en Afrique. Le prix de la tonne de blé explose tous les jours un peu plus pour dépasser les 450 $, le double de ce qu’elle coûtait en novembre dernier. Une vingtaine de pays du continent le plus pauvre de la planète importent au moins 50 % de leur blé d’Ukraine ou de Russie.
 
Premier importateur mondial de cette céréale, l’Égypte — avec ses 105 millions d’habitants dont l’immense majorité vit le long de la vallée cultivable du Nil — avait été particulièrement touchée par les émeutes de la faim en 2008. Elles n’avaient pris fin que cinq ans plus tard, déclenchant au passage les printemps arabes de 2011. Le premier avait bourgeonné en Tunisie qui dépend à 45% du blé ukrainien.
 
Le même scénario se profile à l’horizon, malgré les messages rassurants du gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi qui dit disposer de réserves suffisantes de blé jusqu’à la fin de l’année. Fort bien, mais les Égyptiens consomment deux fois la moyenne mondiale de pain et n’oublions jamais qu’un ventre affamé n’a point d’oreilles.
 
La tension mondiale de l’offre et de la demande pour certaines denrées alimentaires de base avait déclenché ces émeutes en Égypte et dans une trentaine de pays, majoritairement en Afrique qui produit en moyenne 23 millions de tonnes de blé annuellement et en importe 40 millions.
 
La faim dans les pays africains va donc revenir au triple galop. Au cours des prochaines semaines, elle risque de toucher au moins 40 millions de personnes au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Pour l’heure, tous les jours plus de 800 millions de personnes dans le monde ont le ventre vide ou mal rempli. En Afrique de l’Est, une personne meurt de faim toutes les 48 secondes.
 
Comment faire ?
 
À cause de la guerre russo-ukrainienne, une quinzaine de millions de tonnes de blé ne seront pas mis sur le marché d’ici la fin du mois et si elle s’éternise comment faire pour réduire les risques de famine en Afrique qui compte 60 % des terres arables non exploitées dans le monde ?
 
« À court terme, c’est très difficile de produire d’un seul coup assez de nourriture dans ce continent qui n’a pas suffisamment développé son agriculture », rappelle Bruno Parmentier pour qui l’Ukraine et la Russie « ont le pouvoir de vie et de mort sur une partie de la population mondiale ».
 
Il faudra donc augmenter l’aide internationale. Mais voilà, des millions de dollars destinés à des programmes au Sahel risquent d’être réaffectés pour financer l’accueil des réfugiés ukrainiens. En mars, le Danemark a ainsi « détourné » près de 300 millions $ destinés aux Africains.
 
Pour aggraver encore plus les choses, le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU en perdant un de ses plus importants contributeurs, l’Ukraine, va devoir frapper aux portes d’autres pays.
 
Et la filière canadienne ?
 
La guerre en Ukraine pourrait être une excellente nouvelle pour le Canada qui produit 12 % du blé mondial, exporté dans une centaine de pays. Le PAM va sûrement demander l’aide d’Ottawa afin de pouvoir continuer à nourrir les 130 millions de personnes à sa charge tous les jours.
 
Mais voilà, comme avec la sécheresse de l’an dernier qui a fait fondre la production céréalière d’au moins 40 %, les agriculteurs canadiens s’attendent cette année à de mauvaises récoltes.
 
Alors ? « Il faudra augmenter le budget du PAM, mais cela ne suffira pas. Il faut qu’il trouve concrètement du grain à acheter », explique Bruno Parmentier.
 
Ces dernières semaines, l’Inde a interdit les exportations de son blé fin d’assurer la sécurité alimentaire de sa population et « la Chine a fait une mauvaise récolte et tente d’importer de grandes quantités de blé ; ce dernier pays possède de loin les plus gros stocks mondiaux mais je doute qu’il s’en sépare, tant le souvenir collectif des famines reste présent dans l’imaginaire local ».
 
Quant à l’idée proposée notamment par la France et la Turquie de « corridors maritimes » pour sortir les céréales ukrainiennes du port d’Odessa, confronté par le blocus de la marine russe, elle ne se concrétise toujours pas.
 
Une parfaite illustration de la quadrature du cercle.
 
Qu’importe …
 
Depuis le 24 février, l’Afrique dans son ensemble a refusé d’exprimer son soutien à Kiev et Moscou, arguant que ce n’était pas sa guerre. Avec 25 % des sièges à l’ONU, elle joue la prudence diplomatique, même si l’influence russe sur le continent est une réalité grandissante.
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Qu’importe les raisons, bientôt il y aura davantage d’Africains succombant à la faim que d’Ukrainiens et de Russes morts dans ce conflit en plein cœur de l’Europe.
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La caricature du mois

6/12/2022

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Ralentissement, recul, récession

6/12/2022

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Antoine Char
Les banquiers centraux parviendront-ils à maîtriser l’inflation galopante, désormais partout présente dans les sociétés occidentales ? Que ce soit à l’épicerie, à la quincaillerie dans les grands magasins ou à la pompe, la hausse des prix est désormais généralisée. Elle inquiète. Jusqu’où cela nous mènera-t-il ?
 
Rudy Le Cours
 
L’antidote à la flambée des prix est pourtant simple, mais sa posologie peut être brutale, au point de faire plonger des pays en récession plus ou moins longue et profonde. Les banquiers centraux agissent comme médecins. Leur remède, augmenter les taux d’intérêt afin de refroidir l’économie en surchauffe.
 
Au Canada, la croissance réelle annualisée a atteint 3,1 % au premier trimestre. À son plein potentiel, le gonflement de la taille de l’économie devrait se limiter plutôt à un rythme avoisinant les 2 % quand l’économie est en expansion dans son ensemble. C’est le cas. La production de biens et services a excédé de 0,8 % son sommet pré-pandémie, au premier trimestre, malgré la vague Omicron qui a mis sur pause en partie le secteur des services, en janvier et février.
 
La Banque du Canada reconnaît désormais qu’elle a pris du retard dans la normalisation de son taux directeur, ayant estimé, à tort, que les pressions inflationnistes étaient conjoncturelles, temporaires.
 
Elle met donc les bouchées double pour freiner la consommation en restreignant le crédit. Les secteurs très sensibles aux variations des taux d’intérêt réagissent déjà, comme on le voit sur le marché de la revente dans l’habitation.
 
Néanmoins, il faut attendre de 12 à 18 mois avant que les effets des hausses de taux soient pleinement ressentis dans l’économie, ce qui nous mène à l’an prochain.
 
La grande faiblesse des banques centrales dans le cas présent, c’est que l’inflation est nourrie au moins autant par l’offre que par le demande. Elles n’ont aucune emprise sur l’offre. Elles ne peuvent ni raccorder des chaînes d’approvisionnement rompues par Pékin pour éradiquer la Covid, ni forcer les Russes à se retirer d’Ukraine, ni contrôler les prix des produits de base fixés par la spéculation des marchés.

Mince consolation, la Chine rouvre ses usines et son port de Shanghai.
 
Ralentissement souhaité, recul possible
 
Le danger le plus grand couru par les banquiers centraux, c’est que tous et chacun s’imaginent que l’inflation va perdurer. Quand s’installent pareilles attentes, on a tendance à devancer des achats.
 
Ce faisant, on nourrit une demande que les autorités monétaires s’efforcent de diminuer. Voilà pourquoi la Banque du Canada signale qu’elle entend procéder à toutes les hausses nécessaires pour ramener le taux annuel d’inflation dans une fourchette de 1 % à 3 %.
 
Elle a même annoncé que son taux directeur pourrait franchir la barre des 3 % afin de montrer toute sa détermination à freiner la hausse des prix. Pour y parvenir, elle doit freiner la demande afin de créer une offre excédentaire qui ralentirait la montée des prix.
 
C’est un exercice périlleux. Agir trop vite entraînera une panne de croissance comme en 1991, trop lentement une perte de crédibilité et la poursuite de la flambée des prix, comme durant les années 70. ET répétons-le, elle n’a aucune prise sur les prix des produits de base fixés par les marchés.
 
Évidemment, tout le monde souhaite qu’elle parvienne à orchestrer ce qu’on appelle un soft landing dans la langue de Margaret Atwood, un freinage en douceur de l’activité économique, sans étouffer ses moteurs.
 
En pareil cas, la croissance décélérerait, stopperait peut-être brièvement, mais serait en mesure de redémarrer sans trop de mal. Du pilotage de grand art, en somme.
 
Récession et récession
 

Voilà pourquoi Dave McKay, directeur général de la Banque Royale du Canada, a estimé le mois dernier à une chance sur deux que le Canada tombe en récession. C’est beaucoup, mais il n’est pas le seul à penser ainsi.
 
« Il est encore possible de diminuer l’inflation sans nécessairement provoquer une récession. Les chances, qui reposent en partie sur la confiance du public envers les décideurs, sont minces. Mais elles sont là », croit pour sa part Royce Mendes, directeur général et chef de la stratégie macroéconomique chez Desjardins.

Ce mot en R fait peur, mais il est bien mal compris. De quoi parle-t-on ?
On entend communément par récession, deux trimestres de croissance négative d’affilée. C’est facile à comprendre, mais c’est surtout imprécis, voire inexact parfois.

Prenons deux exemples.

En mars 2020, l’économie mondiale a été mise sur pause. Le Grand Confinement a entraîné une profonde récession. Au Canada, le Produit intérieur brut réel a plongé de 17,7%. Pourtant, dès mai, la reprise était enclenchée.

Deux mois donc. Néanmoins, écrit le Business Cycle Council (BCC) de l’Institut C, D. Howe, « il s’agit de la récession la plus courte et la plus profonde depuis la Grande Dépression qui a commencé en 1929. » (Communiqué du 24 août 2021)

Le BCC a pour mandat de déterminer le début et la fin d’une récession. Son pendant américain, le National Business of Economic Research, en est arrivé à la même conclusion : « Le Comité conclut que la chute d’activité a été si grande et si répandue dans l’économie que, malgré sa brièveté, on doit la considérer comme une récession. Il s’agit de la récession américaine la plus courte à ce jour.» (Communiqué du 19 juillet 2021).

Ces deux organismes ne limitent pas la définition d’une récession à une contraction de deux trimestres. Ils mesurent aussi la profondeur et l’étendue de la décroissance dans toutes les sphères de l’économie.
En 2015, l’économie canadienne s’est contractée de 0,2 % au premier trimestre et de 0,1 % au deuxième, ce qui en ferait un épisode récessionniste.

La Banque du Canada a même réagi en abaissant son taux directeur pour stimuler la demande, prenant de court la plupart des observateurs économiques et financiers.

Le BCC considère néanmoins que l’économie canadienne n’était pas en récession. « Géographiquement, l'Alberta et Terre-Neuve ont été davantage affectées par la chute du prix du pétrole, tandis que la croissance économique en Ontario et au Québec est restée positive, explique Steven Ambler, professeur au département des sciences économiques de l’UQAM et président du BCC.

Également membre de la Chaire David Dodge de l’Institut C. D. Howe, il ajoute dans un échange de courriels avec En Retrait : « Il y avait plus de secteurs de l'économie en expansion qu'en contraction. »
En outre, l’emploi a continué de progresser durant la période. Finalement 2015 aura été une autre année d’expansion de l’économie canadienne.

Pour mieux comprendre les différences entre les récessions, le BCC les classe un peu à la manière des ouragans, de force 1 à 5.

Celle de 2020 est de force 5 alors que celle de 2015 est à peine de catégorie 1. La Grande Récession de 2008-2009 est classée 4. (Pour plus de détails lire l’étude en anglais de Philip Cross et Philippe Bergevin : https://www.cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed/Commentary_366_0.pdf)

Et maintenant ?

Si on se fie aux marchés boursiers qui anticipent généralement de six mois le comportement de l’économie, l’avenir est plutôt sombre. 
Ce qui les fait toutefois paniquer avant tout depuis le début de l’année, c’est la hausse du loyer de l’argent. Eux, qui sont dopés au crédit facile depuis des années appréhendent un sevrage douloureux qui va freiner la spéculation.

L’économie réelle donne quelques signes d’essoufflement aux États-Unis. Son PIB a reculé de 1,5 % au premier trimestre. Pourtant il s’y crée encore beaucoup d’emplois et l’indice des décideurs d’achat du secteur manufacturier, un indicateur avancé très surveillé, pointe toujours vers l’expansion. Simple recul donc ? C’est en tout cas ce que pense la Réserve fédérale.

Au Canada, tout baigne pour l’instant. Nous subissons les hausses de prix, les contretemps des ruptures de chaînes d’approvisionnement pour changer de voiture par exemple.

Toutefois, nous ne sommes aucunement menacés de pénurie d’énergie ou de céréales, étant même des exportateurs nets.

L’inflation appauvrit les ménages, gruge les marges des entreprises, mais dopent les recettes fiscales puisque les prix des exportations canadiennes grimpent plus vite que ceux de ses importations. L’État garde donc tout son pouvoir de stimulation.

Toutefois, notre économie ne pèse pas lourd sur l’échiquier mondial. Et si notre partenaire et grand voisin devait trébucher, nous serions bousculés forcément. Et de conclure M. Ambler : « C’est peut-être ce que je crains le plus. La récession canadienne de 2009 avait à son origine surtout la crise financière et la récession aux États Unis. »

Si l’histoire devait se répéter plus tard cette année ou l’an prochain, il restera à mesurer si la récession sera de force 1, 2, 3 4 ou 5. Mais pourquoi pas zéro ?

Pour voir les variations du PIB :
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=CAN&codeTheme=2&codeStat=NY.GDP.MKTP.KD.ZG
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Histoires d'eau

6/12/2022

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Jean-Claude Bürger
 
Grenoble le 16 mai. Explosion de joie et cris de victoire, à l’Hôtel de ville. Des femmes portant hijab et tenue islamo-compatibles célèbrent le changement du règlement des piscines municipales de la seizième commune de France.
 
Le nouveau code vestimentaire permet aux femmes au nom de l’égalité des sexes de se baigner poitrine nue! 
 
Mais ce n’est certes pas par amour du naturisme que les membres de l’alliance citoyenne réunis dans le salon rouge de la mairie, manifestent bruyamment leur allégresse : le vote du conseil municipal sur le règlement des piscines consacre également le droit des femmes de se baigner en maillot charia-compatible, mieux connu sous le nom de burquini. Pour cette association le nouveau règlement est l’aboutissement d’une campagne de trois ans de pressions et d’agitation contre l’ancien règlement qui dans les faits en bannissait l’usage pour des raisons d’hygiène
 
Association communautaire et pressions communautaristes
 
Comme son nom ne l’indique pas l’alliance citoyenne est une organisation qui milite régulièrement en faveur d’un droit pour la communauté musulmane de bénéficier d’institutions propices à son épanouissement religieux. Mais en France, l’histoire de la laïcité semble consubstantielle avec celle de la République. L’alliance en défendant le droit à une conception bigote de la pudeur remet en question pour ses détracteurs, un aspect fondamental des institutions françaises.
 
À l’extérieur du bâtiment un groupe d’environ 500 Grenoblois avait d’ailleurs manifesté dès le début de la journée son opposition à la tenue du scrutin.
 
Ces gauches incompatibles
 
Sous des airs de querelle de Clochemerle, la situation éclaire de façon inattendue les contradictions profondes qui agitent la nouvelle union des gauches constituée pour les élections législatives des 12 et 19 juin. Elle inclut le parti du maire, qui est lui-même composé de différents courants aux opinions parfois incompatibles.
                                   
Grenoble ville de gauche (Jean-Luc Mélanchon y a obtenu 39 % des voix à la présidentielle), a élu pour un second mandat une municipalité écologiste avec à sa tête Éric Piolle. On prête à ce maire volontiers provocateur et amateur de publicité des ambitions nationales.
 
Bien qu’il ait qualifié de non-sujet le vote sur le règlement des piscines avant sa tenue, le scrutin a attiré l’attention des principaux journaux nationaux et le résultat du vote suivi par de très nombreux médias étrangers. *
 
Si l’opposition ne se gêne pas pour traiter le maire de « Zemmour de gauche », les opposants au sein de sa majorité sont dans une situation inconfortable.
 
La victoire des partisans du burquini 29 pour, 27 contre et deux abstentions a été courte. Elle a fissuré la majorité municipale, les partisans du maire ont vu 13 de leurs camarades se joindre à l’opposition pour le vote. Des tenants de la laïcité, des féministes, et les anti communautaristes, n’ont pu se résoudre à trahir leurs convictions pour courtiser une partie de l’électorat d’origine nord-africaine. Ils se sont à leur grand désarroi, retrouvés dans le même camp que leurs adversaires de toujours.
 
Amel Zennatti une conseillère municipale féministe de la majorité s’en expliqua clairement : « Nous ne sommes ni frondeurs ni dissidents. Nous ne sommes pas islamophobes, ni laïcards … nous n’avons rien de commun avec les discours abjects de l’extrême droite qui cherchent à faire de nos compatriotes de confession musulmane la source de tous nos maux …
 
Que le port du burquini soit consenti ne suffit pas à justifier son autorisation, ça n’enlève rien au fait qu’il est le résultat d’une injonction patriarcale …
Qu’en sera-t-il demain pour les filles, les femmes qui se verront imposer leur enfermement, avec l’argument de la pudeur… »
 
La pudeur : un droit ou un devoir ?
 
Il est vrai qu’un code de pudeur a une double nature. C’est un droit individuel qui permet aux gens de protéger leur intimité, mais c’est aussi un devoir, une injonction qui leur est imposée par la communauté de ne pas exposer cette intimité hors des limites qu’elle a édictées.
 
Un autre conseiller de sensibilité socialiste, Hosni Ben Rejeb, a en vain imploré une à une en les appelant par leur prénom toutes les femmes de la majorité à voter contre cette proposition au nom de l’égalité homme femme.
 
Le burquini conforme au code de pudeur islamique, n’est pourtant pas un vêtement religieux en tant que tel, mais il a vocation de devenir un porte étendard d’un islam politique militant sur les plages et dans les piscines. Il permet une condamnation implicite de la moralité de celles qui ne le portent pas, facilite les dérives communautaires et la fragmentation de la société en groupes antagonistes.
 
Communautarisme religieux et laïcité, le choc inévitable
 
Car au fond, c’est bien de communautarisme qu’il s’agit, et ce qui semble être une querelle byzantine au fin fond des Alpes françaises rejoint les questionnements que suscitent au Canada anglophone les positions du Québec à propos de la laïcité.
Cette laïcité qui n’a jamais eu bonne presse dans le reste de l’Amérique du Nord.
Les opposants grenoblois n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner l’origine anglo-saxonne de la philosophie à la base de la tolérance pour le communautarisme religieux.
 
Au moment où Ottawa affirme son intention de participer à la contestation devant la Cour suprême de la loi québécoise sur la laïcité, on peut se demander si paradoxalement le fédéral en ayant recours aux tribunaux ne refuse pas le particularisme québécois au sein du Canada, au nom du droit des autres communautés de promouvoir leur propre particularisme au sein du Québec …
 
En tout état de cause pendant que les Grenoblois se demandaient avec une certaine perplexité si les partisanes des bains poitrine nue allaient se précipiter en grand nombre dans les piscines pour y côtoyer les baigneuses en burkini, le gouvernement Macron choisissait à l’instar du gouvernement Trudeau les tribunaux pour contrer le vote et essayer d’endiguer une polémique nationale.
 
Épilogue
 
Le 25 mai le tribunal administratif de la ville suspendait le règlement au motif qu’il portait « gravement atteinte au principe de neutralité du service public » en dérogeant pour des raisons d’accommodement religieux aux règles nationales d’hygiène.
 
Le maire va contester la suspension devant le Conseil d’État … Sorte de Cour suprême française…
 
*réactions entre autres dans Le Monde, Le Guardian, le Tage Spiegel, la télévision de New Delhi, Euronews, BBC ,  Morocco World News, La Dépêche, Stern, Politico, La Presse, Arab News…Et de nombreux autres.
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Le cas de QS

6/12/2022

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Valérian Mazataud
Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec Solidaire
L’opinion publique ne varie pas fondamentalement sur une courte période, l’orientation politique ne change pas grandement à court terme. Ce qui évolue, c’est la perception que l’électorat a des partis politiques.
                                     
Jean Dussault
 
Les militants.es de Québec Solidaire ont une impressionnante feuille de route d’appartenance à des groupes communautaires, un salmigondis de sigles qui fait pâlir celui du CIUSSSMCQ.(1)
Les solidaires sont essentiellement et fondamentalement des personnes convaincues que seule la solidarité, la communauté et l’entraide offrent une chance de résister aux pouvoirs écrasants et oppressants. Économiques, étatiques, politiques, sociaux, culturels, religieux.
 
Les femmes devenues féministes ont compris ça, les ouvriers devenus syndicalistes ont compris ça, les gais devenus militants ont compris ça, les Noirs descendus dans la rue états-unienne ont compris ça.
« L’union fait la force » est (était ?) une conviction aussi profonde que sincère dans les rangs de QS.
 
Le long cheminement
 
QS s’est présenté à l’élection d’octobre 2018 avec un programme de 92 pages établi dans une « démarche de démocratie participative »  amorcée dix ans plus tôt, donc présumé mûri. Au chapitre de la laïcité, le parti avait choisi le camp de l’immense majorité ou, c’est selon, adhéré au plus bas commun dénominateur.
 
Pour des raisons qui doivent être présumées réfléchies, Québec Solidaire a alors fait campagne avec et sur trois propositions claires : pas de signes religieux pour les employés.es du service public avec un pouvoir de coercition, le déplacement du crucifix de l’Assemblée nationale ailleurs que derrière le siège de la présidence et les services publics donnés et reçus à visage découvert.
 
Un quasi copier-coller du rapport de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements culturels.
 
Le virage abrupt
 
Cinq mois après l’élection, le parti a changé de cap. Les délégués.es à un conseil national ont, à la quasi-unanimité, accepté le port du tchador, du niqab et, oui en théorie, de la burqa d’un côté ou de l’autre d’un comptoir de, disons, la SAAQ.
 
L’aspirant premier ministre, Gabriel Nadeau-Dubois, a expliqué le tête-à-queue par le fait que des femmes niqabées, ou même burqanées, n’envahiront pas le service public puisqu’elles sont sans dessein professionnel : « Il n’y a pas de femme portant le niqab qui souhaite vendre des bouteilles de vin à la SAQ » (…) et « des femmes qui portent le niqab et qui veulent devenir rectrice de l’UQAM, ça n’existe pas ».(2)
 
Sous prétexte qu’il est peu probable que ça se produise, le parti formellement féministe ne s’oppose pas à ce que des employées du  service public portent le plus infamant symbole de l’oppression des femmes. Il s’agit du parti publiquement fier d’avoir eu la plus grande proportion de candidates à l’élection de 2018.
 
L’explication
 
Le raisonnement derrière le changement radical de position a été annoncé dans un communiqué officiel du parti. Manon Massé, alors leader parlementaire de QS, y est citée : « La question que nous nous posions en fin de semaine était simple : le compromis Bouchard-Taylor tient-il toujours la route ? La réponse à laquelle nous sommes arrivé-es, c’est non ».(3)
 
Mme Massé a aussi argué qu’à cause du projet de loi 21 du gouvernement Legault présenté quelques jours auparavant, son parti s’était retrouvé seul à défendre ledit compromis.(4)
 
Or, si QS abandonnait toutes les propositions qu’il est le seul à défendre et à promouvoir, il resterait  peu de pages dans son programme.
 
Si jeune, si vieux
 
Ce parti longtemps animé par une poignée de leaders dont il n’était pas nécessaire d’appuyer toutes les orientations pour admirer l’engagement pour un plus grand bien-être collectif, ce parti de renouveau, de coups de gueule, de coups de pied et de coups de cœur, ce parti de brassage de la cage a imité la pire des plus mauvaises habitudes des « vieux » partis : changer de position après une élection.
 
Aucune donnée statistique ne révèle quelle proportion des votes accordés à Québec Solidaire à l’élection du 1er octobre 2018 aurait été octroyée à un autre parti si celui proclamé féministe avait changé le chapitre de son programme sur la laïcité avant l’élection plutôt qu’après.
 
Aucune donnée, certes ; un doute, certain.
 
Le post-mortem
 
Ç’aura pris une réunion d’une fin de semaine pour  remplacer l’humanisme collectiviste de QS par les droits à vau-l’eau du multiculturalisme canadien, en l’occurrence le droit d’une femme de porter des menottes dans son poste public. Ce conseil national a ainsi balayé les efforts de celles et ceux qui avaient trimé pour arriver à un programme  collectiviste cohérent.
 
Dans le même élan, un autre conseil national du parti, à la fin de mai dernier à Montréal,  a statué que la loi 96, qui veut renforcer la loi 101, est en fait une attaque contre les droits des minorités anglophone, autochtone, immigrante.
 
Les députés.es de QS à l’Assemblée nationale avaient voté en faveur de ladite loi la semaine précédente. Penaud, leur chef promet maintenant qu’une fois au pouvoir, son gouvernement invaliderait cette partie de la loi 96 qu’il a appuyée.
 
Question/réponse
 
Le parti étiqueté de gauche risque de ramener le portrait électoral là où il était avant la fusion de l’Union des Forces Progressistes et Option Citoyenne qui a mené à sa naissance en 2006.
 
En fait, seize ans plus tard, le rééquilibrage des forces politiques que l’avènement d’un vrai parti intelligemment à gauche aurait pu susciter à moyen terme semble pencher encore plus dans le sens contraire.
 
À moyen ou à long terme, un discours de gauche constant prônant les intérêts de la collectivité dans le respect des minorités aurait pu convaincre une proportion significative de l’électorat de délaisser le confortable centre idéologique.
 
Par sa propre faute, QS n’a pas tiré le Québec à gauche.
 
L’amalgame des amalgames
 
Les militants.es « anti-coloniaux» , qui pèsent lourd dans les instances de QS, nient le droit de l’état d’instaurer des règles collectives parce que l’état en question représenterait l’héritage de l’exploitation du capitalisme fondamentalement sauvage contre les déshérités.es de la planète. Soit.
 
En terme électoral, la raison pour laquelle Québec Solidaire ne recueille pas plus d’adhésion à ce moment-ci ne réside pas dans l’âme collectivement modérée de la nation.
 
Elle se trouve dans un changement radical chez les militants.tes de QS, un virage que les partisans de la CAQ applaudiront le soir de l’élection.
 
(1)   Centre Intégré Universitaire de Santé et des Services Sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.
(2)   Presse Canadienne. 30-03-19
(3)   quebecsolidaire.net/nouvelle/quebec-solidaire-revise-sa-potition-sur-les-signes-religieux.
(4)   Le Journal de Québec. 30-03-19
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L'immigration en question

6/12/2022

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Valérian Mazataud
François Legault dit préférer l'intégration des immigrants à la hausse de leur nombre.
La pénurie de main d’œuvre amène les milieux d’affaires à réclamer plus d’immigration, d’autres voient là une volonté d’importer de la main-d’œuvre bon marché. Le gouvernement du Québec dit préférer l’intégration des immigrants à l’augmentation de leur nombre, d’autres y perçoivent un nationalisme indûment aigu. C'est un débat mal barré.
 
 Jean Dussault
                              
L’ouverture aux autres a l’immensément rare avantage de réunir une valeur fondamentale et une  variable essentielle : le devoir et le besoin. Le devoir, c’est celui des moins inconfortables de la planète d’accueillir des immigrants et des réfugiés qui s’expatrient pour améliorer leur sort ;  le besoin est celui de s’enrichir culturellement et économiquement.
 
À titre anecdotique, le nom de plusieurs spécialistes québécois qui ont commenté, analysé et expliqué la crise de la Covid depuis deux ans indique qu’ils et elles n’étaient pas Saguenéens ou Mauriciens de plusieurs générations.
 
De même : les « boat-people » vietnamiens d’il y a un demi-siècle dirigent aujourd’hui des écoles, des restaurants, des pharmacies ; leurs enfants s’appellent Hélène Nguyen et Fo Duffault.
Et ils ont lu Ru, en français.
 
La face cachée
 
C’est parce que l’immigration est à la fois humaniste et nécessaire qu’il faut éviter d’en faire un élément de débat sur la fierté nationale si chère aux militants caquistes réunis en congrès à la fin mai.
 
Bien sûr, tout un chacun peut avoir une opinion sur le nombre de personnes à accueillir; évidemment, il faut examiner le plus honnêtement possible l’impact sur les services publics causé par de nouveaux arrivants souvent dramatiquement démunis.
 
Il serait aussi opportun d’évaluer l’apport  économique des plus nantis d’entre eux pour déterminer si l’immigration est globalement « rentable ».

Aucune recherche sérieuse ne démontre le contraire et il n’existe pas d'évaluation précise du nombre optimal d’immigrants à accueillir. La recherche intelligente d’équilibre a été remplacée par les clairons tonitruants de la (petite) politique. De part et d’autre.
 
Si la profonde et généreuse volonté collective est de chaleureusement et intelligemment intégrer les nouveaux venus, tout le monde y gagnera. Comme à Mékinac où tout le monde a compris que la viande halal et le djihadisme ne sont pas la même chose.(1)
 
Pour y arriver, il faut avant tout arracher le, hum, voile qui cache la discussion franche.
 
La maudite religion maudite
 
S’il y a certainement des questions légitimes sur l’immigration qui ne sont pas bêtement du racisme déguisé, il est néanmoins probable qu’une partie de l’inquiétude et même de l’opposition suscitées par l’immigration provient d’une perception d’envahissement religieux/musulman/islamiste.
 
C’est la conclusion de la Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse. « De nombreux intervenants semblent tenir pour acquis que les immigrants musulmans sont, dans leur vaste majorité, de fervents pratiquants mus prioritairement par leur foi en Dieu, et donc forcément hostiles à toute vision laïque et sécularisée des règles régissant la vie en société .»  (2)
 
Des musulmans laïcs
 

Le rapport de la CDPDJ établit que les musulmans immigrés au Québec et les catholiques nés au Québec n’expriment pas plus publiquement leur religion les uns que les autres.(3).
 
De plus, la plus grande proportion d’immigrants à ne participer à aucune activité religieuse se trouve, à 62%, presque les deux tiers, chez les musulmans immigrés au Québec.(4)
 
En clair, le militantisme religieux des immigrants musulmans est une vue de l’esprit. Il est plausible que, par cette étude éclairante, la CDPDJ ait voulu combattre la xénophobie, plus particulièrement l’islamophobie.
 
Après tout, ou avant tout, la Commission  défend les droits et libertés individuels garantis par la charte québécoise des droits et elle s’est opposée formellement à la loi 21 sur la laïcité dans certains services publics.
 
Quelque ait été le but de la recherche, le résultat en est limpide : la Commission démontre l’absence de liens entre immigration et prosélytisme, elle démonte l’argument de l’invasion islamisante dans l’opposition à l’immigration.
 
Une immigration invitée
 
Il y a plus de musulmans au Québec qu’il n’y en avait auparavant. Cette augmentation ne provient pas d’un mouvement, d’un envahissement musulman, encore moins islamiste.
 
C’est tout simplement que la politique québécoise d’immigration de 2008 à 2012 favorisait la venue de parlant français en provenance surtout d’Afrique du Nord, un terreau francophone jusque-là moins cultivé par le Québec que, disons, la France ou Haïti.
 
Malgré ce recrutement intensif, des données du ministère québécois de l’Immigration, la Francisation et l’Intégration, le MIFI, indiquent qu’en 2017, environ 6000 Nord-Africains ont émigré au Québec.(5).  
 
En nombre comme en militantisme religieux, il ne s’agit pas du tout d’une meute menaçante.
 
La loi 101
 

En 1940, les Québécois francophones parlaient l’anglais à l’usine parce que c’était la langue des patrons. Si l’État québécois s’assure de la francisation des milieux de travail, les Néo-Québécois y parleront le français.
 
Au souper, ils compareront leurs néologismes avec ceux de leurs enfants qui auront fréquenté l’école en français depuis leur arrivée au Québec parce que c’est le cas depuis l’adoption de la loi 101 en 1977. L’hypothèse est que les enfants se trouveront meilleurs en français que leurs parents ; la probabilité est que ce sera le cas.
 
Une grande respiration
 
Dans le débat sur l’immigration, l’argument de la religion, en clair la crainte de l’islamisation, n’est pas basé sur des faits. Que les xénophobes  le comprennent bien: qu’il s’agisse d’immigrants ou de réfugiés, ce ne sont pas des passeports qui menacent la nation québécoise ou sa laïcité.
 
Des personnes sont parties d’ailleurs pour venir ici dans l’espoir que ça aille mieux demain que ça n’allait hier. C’est sans doute la décision à la fois la plus difficile et la plus prometteuse de leur vie. Personne ne doit être exclu de cette noble et tellement périlleuse aventure.
 
Une porte ouverte
 
De larges pans de l’immigration musulmane sont formés d’êtres humains qui se sauvent de l’oppression politico-religieuse dans leur terre natale. Comme des milliers d’Asiatiques ont fui la guerre il y a cinquante ans, comme des milliers d’Européens de l’Est se sont évadés du soviétisme écrasant vingt ans plus tôt.
 
Maintenant, ce sont des Ukrainiens.
 
La première chose à faire, la seule, c’est de les accueillir.
Une fois à l’abri ici, ils pourront apprendre la très grande importance à accorder aux bottes d’hiver.
Et à d’autres particularités culturelles.
 
1-La Presse+. 29-05-22
2-CDPDJ 2.120-4.21.1  « La ferveur religieuse ».  p.50
3-id. p.74
4-id. p.47
5-http://www.mifi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/Pub_Immigration_et_demo_2019.pdf
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Camps de jour version 2022

6/12/2022

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Marie-Josée Boucher
Marie-Josée Boucher
 
Quelle est la situation des camps de jour au Québec après deux ans d’une pandémie qui a bouleversé la vie de chacun de nous ? 
À quelques jours du début de la saison 2022, nous avons voulu savoir comment les camps de jour vivront avec la nouvelle réalité pour accueillir les jeunes de leur quartier ou de leur région. Quels seront les défis?

« Il y a vraiment un retour dans les camps de jour. Nous connaissons une très très forte demande », se réjouit Éric Beauchemin, directeur général de l’Association des camps du Québec (ACQ). L’organisme regroupe plus de 370 camps membres certifiés qui se conforment à quelque 70 normes de qualité et de sécurité.

Eric Beauchemin est très enthousiaste en vue de la saison 2022 qui s’amorcera dans quelques jours.
Par contre, le manque de personnel, qui caractérise la plupart des secteurs d’activité au Québec, touche aussi les camps de jour. « Les ratios définissent le nombre de places. Nous avons un ratio de 1 animateur pour 15 jeunes. Si nous n’avons pas le 1, ce sont 15 jeunes qui viennent de perdre une place en camp de jour! », lance Éric Beauchemin.

Centre Lasallien

Le Centre socio-éducatif Lasallien, situé dans le quartier montréalais Saint-Michel, est très dynamique. Il a pour slogan : Un avenir brillant.
Il offre quatre types d’activités estivales pour les jeunes : le camp culturel, le camp santé physique, le camp des PROS (un camp pédagogique de francisation) ainsi que le camp loisirs, offert au Centre René-Goupil.

Le Centre Lasallien n’est pas membre de l’ACQ, mais la question est au menu des discussions, confirme la coordonnatrice du camp santé physique, Annie Lalonde.

L’organisme déploie tous les efforts pour recruter des animateurs. Le coordonnateur du camp culturel, Cedric Irakoze, raconte que le Centre a placé des annonces sur Instagram, sur le site de l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension ainsi que sur les sites des cégeps et des universités. « Le défi de l’embauche, c’est un enjeu majeur », soutient Annie Lalonde.

« Surtout cette année. Je peux cependant dire que près de 70 % de notre personnel requis a été embauché », a confirmé Cedric Irakoze, au moment où nous l’avons rencontré, Annie Lalonde et lui, au début de juin. « Nous allons y arriver; nous sommes presque complets », assure Annie Lalonde.

Cédrick Irakoze a aussi sondé des élèves des classes enrichies du secondaire V de l’école secondaire avoisinante Louis-Joseph Papineau. Sur 20 jeunes qui ont démontré de l’intérêt pour les camps de jour, trois ont été embauchés pour le nouvel atelier Techno, un des volets du camp culturel. Les 17 autres étudiants ont été invités à venir grossir les rangs des animateurs des camps.

Cedric Irakoze et Annie Lalonde font cependant observer qu’ils devront assurer davantage une présence quotidienne sur le terrain pour soutenir les nouveaux animateurs. « L’équipe est jeune. Il y a beaucoup beaucoup de nouveaux cette année. Ce qu’on souhaite, c’est une continuité dans le personnel », plaide Cedric Irakoze.

Au Centre Lasallien, le ratio pour les camps de jour est de 1 animateur pour dix ou douze jeunes, selon leur âge.

Le camp culturel présente des ateliers de peinture, musique, contes et danses africains et cirque hors-piste. De plus, le nouveau volet Techno offrira des activités axées sur la tablette électronique, la réalité virtuelle, la Lü (une aire de jeux interactive et d’apprentissage ludique), de même que la robotique.
Même variété d’activités pour le volet santé physique qui se concentrera sur les saines habitudes de vie. Annie Lalonde rapporte qu’il y aura notamment pratique du soccer et du basket, des activités à vélo, de l’agriculture urbaine ainsi que des ateliers de cuisine.

De son côté, le camp des Pros est réservé aux nouveaux arrivants. S’étendant sur cinq semaines, il regroupera des jeunes des cycles primaire et secondaire. Il offrira surtout des cours de francisation ludique, par exemple par la production d’un film muet ou de bandes dessinées, donc de l’expression orale et de l’initiation à la technologie.

Contrecoups de la pandémie

La pandémie a mis beaucoup de pression sur le dos des parents du quartier. « La clientèle s’est appauvrie », relève Annie Lalonde. « Nous avons dû soutenir les familles sur le plan alimentaire. »
Les places étaient plus limitées dans les camps de jour depuis deux ans en raison des mesures sanitaires. « Il y avait des bulles. Nous devions fonctionner avec de plus petits ratios. Par contre, cette année, nous pouvons ouvrir à plus grande capacité », précise Annie Lalonde.

Autre effet de la pandémie : les coûts ont fortement augmenté, notamment au plan du transport. « Les sorties ne seront pas les mêmes cet été. Nous n’irons pas à l’extérieur de l’île de Montréal. Et nous ne pouvons pas augmenter le prix des camps; les familles ont déjà des difficultés », rapporte Annie Lalonde.
De même, les collations et les repas seront plus limités. Le Centre veillera cependant à ce que les jeunes qui arriveront au camp de jour le ventre vide puissent bénéficier d’une collation.

Les camps de jour du Centre Lasallien Saint-Michel accueillent annuellement de 250 à 300 jeunes de 5 à 12 ans. Ils se dérouleront cette année du 27 juin au plus tard le 19 août prochain.

Volonté d’une meilleure reconnaissance 

Le directeur général de l’ACQ, Éric Beauchemin, souhaite une meilleure reconnaissance et un meilleur encadrement des camps de jour par le gouvernement du Québec. « Est-ce qu’il pourrait y avoir un permis d’opération? Il y a une grande partie de l’offre en camp de jour qui n’est pas normée au Québec », déplore-t-il.

Il souhaite également resserrer les liens avec le milieu scolaire, même si l’ACQ relève déjà du ministère de l’Éducation. « Nous sommes l’été des jeunes au Québec ! Nous empêchons ce qu’on appelle la glissade de l’été, c’est-à-dire la perte des acquis de l’école pendant les vacances. »

M. Beauchemin ajoute que les camps de jour constituent également le premier employeur des adolescents. Il fait valoir que cette expérience les aide notamment à aiguiser leur sens des responsabilités, leur créativité, leur capacité de communiquer et leurs aptitudes à travailler en équipe.

« Nous devenons de plus en plus une industrie. Nous avons un beau modèle, des applications de jeux pour les membres du personnel, et nous avons modernisé et numérisé notre approche. »
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Le meilleur ennemi de l'homme

6/12/2022

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Archie-Joe et Daniel-Jay

Dominique Lapointe

​Jade Rogers avait deux garçons, Archie-Joe, 4 mois, et Daniel-Jay 22 mois. Un jour qu’elle était en visite chez sa sœur, une policière respectable qui s’était momentanément absentée, le chien de celle-ci s’est subitement jeté sur l’aîné, l’agrippant par la tête. Paniquée, la jeune mère a tenté de libérer son enfant, mais le chien a alors profité de la lutte pour arracher le plus petit des bras de sa mère, le secouant violemment par la tête jusqu’à ce qu’il gise au sol.
 
Pendant un instant, elle a bien songé à récupérer son bébé, en apparence sans vie, mais elle a plutôt choisi de sauver l’aîné, sérieusement blessé, mais visiblement toujours vivant, en se précipitant pour appeler les secours. L’animal a alors abandonné sa petite proie inerte pour disputer le plus vieux à sa mère, sur le comptoir de la cuisine pendant qu’elle était au téléphone avec le 911. Elle aura finalement réussi à enfermer l’animal seul … avec le corps de son bébé. 
 
À leur arrivée, les policiers ont dû faire appel à une équipe spécialisée pour maîtriser l’animal encore très agressif, un Staffordshire Bull Terrier, une des multiples variétés de pitbulls (de 4 à 15 types selon les classifications retenues).
 
Le cas classique
 
Cette tragédie, des plus morbides, remonte à 2016 dans le comté d'Essex au Royaume-Uni, mais elle est à la fois tout aussi représentative des pires drames causés par ces animaux domestiques qu’un tableau classique de la majorité des évènements qui finissent par des morts ou des blessés mutilés à vie.  Le chien est, en toute apparence et depuis longtemps, sans histoire d’agression. Il est de la famille immédiate ou connu de la victime, qui elle est plus souvent un enfant, quand ce n’est pas un ainé, c.-à-d. les individus les moins habiletés à se défendre ou se protéger des pires  lacérations.
 
Si les études sur le sujet ne qualifient pas les maîtres impliqués, un large éventail de ces histoires sur quelques années démontre que, contrairement aux idées reçues et à certains procès retentissants, les maîtres sont rarement des gens antisociaux qui maltraitent l’animal et qui en font un monstre par vanité.
 
Comme cette jeune femme partie jogger avec ses chiens dans une forêt de Virginie et qu’on a retrouvée à moitié dévorée le lendemain. L’analyse des morsures par le médecin légiste et les prélèvements d’ADN dans l’estomac des bêtes ont finalement confirmé qu’aucun autre animal que ses deux compagnons de course, des pitbulls, n’était à l’origine de l’attaque.
 
Le phénomène
 
Mais au-delà des cas particuliers existe-t-il réellement un phénomène autour des tant controversés pitbulls ?  Plusieurs groupes de défense des animaux, à commencer par une part importante des vétérinaires, soutiennent que non, ces chiens ne sont pas plus dangereux que d’autres races de chiens à musculature comparable, comme les rottweilers, les bergers allemands ou les chiens de traineaux, eux aussi impliqués quelquefois dans des charges sérieuses.
 
En dehors des États-Unis, peu de données ont été colligées sur la mortalité et morbidité ventilées par race de chiens. Bon an mal an, deux à trois Américains meurent des suites d’une attaque de chien chaque mois aux États-Unis. Selon les périodes retenues, les pitbulls et leurs hybrides sont responsables de 30 % et jusqu’à plus de 80 % de ces décès, alors qu’ils ne représenteraient pas 10 % de la population canine du pays. Cette prévalence de la race, un facteur important pour l’évaluation du phénomène, est toutefois contestée par les militants des pitbulls qui l’évaluent à 20 % et davantage.
 
Quoiqu’il en soit, pour chaque décès, on compte par ailleurs 500 morsures qui nécessiteront une visite aux urgences, dont une quinzaine une hospitalisation et, ultimement, une reconstruction chirurgicale importante.
 
En 2011, une équipe médicale du Texas a entrepris de décortiquer 15 ans de chirurgie plastique au San Antonio University Hospital. Dans les 82 cas (sur 228) où la race du chien avait été identifiée, 29 étaient dus à des pitbulls. Mais au-delà de ce bilan quantitatif, c’est davantage les résultats qualitatifs qui ont étonné les chercheurs. Ces cas étaient systématiquement plus sérieux, avec un risque de mort plus fréquent, nécessitant des opérations plus nombreuses et complexes et des hospitalisations plus longues.
 
Sur le plancher des chiens
 
Nicolas Hamelin aime beaucoup les animaux. On peut entendre son bouvier bernois qui s’exprime en arrière-plan quand on lui parle au téléphone. Il a été vétérinaire dans une autre vie. Il y a 20 ans, il a bifurqué vers la médecine, plus précisément la chirurgie plastique et de reconstruction : « Se faire mordre par un chihuahua ce n’est pas la même chose que par un pitbull. Quand un pitbull attaque, il va faire des dommages beaucoup plus sévères qu’un autre chien peut faire. Sa mâchoire est hyper puissante. S’il veut vous arracher la moitié de la figure, il peut le faire. »
 
Une étude récemment publiée dans la revue Science, et reprise dans une grande partie de la presse internationale, jetait un pavé dans la marre : la race d’un chien n’est pas un prédicteur de comportement agressif. À partir de sondage avec des maîtres et de marqueurs génétiques, les chercheurs ont tenté de détecter des constantes qui permettraient de prévoir différents comportements des chiens.  Sans surprise, on a constaté que, par exemple, les beagles ont une nette tendance à aboyer. Rien sur l’agressivité. Une aubaine pour les défenseurs de pitbulls.
 
 
Bannir ou pas les pitbulls ?
 
Et si l’on avait sondé les proches de propriétaires d’armes automatiques ou semi-automatiques, peut-être aurait-on trouvé le même résultat. Que 99 % et plus sont des amateurs responsables, pas particulièrement agressifs, qui adorent aller au champ de tir ou sont des collectionneurs d’armes qui les fascinent, d’anciens militaires, etc. La rhétorique de la NRA, ce ne sont pas les armes qui tuent, ce sont les humains.
 
Mais quand on a 18 ans, c’est quand même plus compliqué de tuer vingt-et-un enfants, deux professeurs et en blesser 17 autres avec un couteau qu’avec un fusil AR-15, 162 chargeurs et 1657 balles. C’est le raisonnement des tenants du contrôle strict des armes à feu.
 
Le Dr Hamelin insiste : « Les cas sérieux sont très rares, je vois beaucoup plus de doigts coupés sur un banc de scie que des gens lacérés par un chien. Ceci étant dit, quand je pratiquais comme vétérinaire, je conseillais aux jeunes familles d’adopter un golden retriever ou un labrador, pas un pitbull. »
 
Au pays, seul l’Ontario a banni les pitbulls de son territoire. Ailleurs, comme au Québec, on a choisi de refiler la patate chaude aux autorités locales qui se débattent comme elles peuvent avec le problème.  Plus de 200 municipalités et comtés ont voté des interdictions ou des restrictions de ces chiens. Des lois, des règlements qui se retrouvent très souvent devant les tribunaux.
 
Nicolas Hamelin : « Personne ne s’entend sur la définition d’un pitbull. C’est très complexe. On est dans un système légaliste et on soulèvera toujours cette ambiguïté sur la question : qu’est-ce qu’un pitbull ? C’est un véritable panier de crabes. »
 
Difficile alors comme société de définir ce que représente un risque acceptable, la question fondamentale, quand on ne s’entend même pas sur la source et la nature même du risque.
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Les marginaux du système électoral

6/12/2022

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Le prince Charles : futur souverain du Canada ?
Daniel Raunet
 
Le directeur général des élections du Québec a choisi le jour du début de la visite officielle du prince Charles, le 17 mai, pour annoncer la radiation du Parti royaliste du Québec de la liste des partis politiques. Hasard ou pied de nez à un héritier du trône qui s’est bien gardé de mettre les pieds au Québec, on ne le saura probablement jamais, mais cet événement cocasse est une bonne occasion de s’intéresser à ces 16 petits partis qui ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale, mais qui sont dignes de solliciter nos suffrages l’automne prochain.
 
Le parti du piano public


Ça ne prend pas grand-chose pour créer un nouveau parti. Samuel Giguère, fondateur du défunt Parti royaliste du Québec, explique sa recette : « Une très grande proportion des membres fondateurs du Parti ne sont pas des royalistes purs et durs, ce sont plutôt des collègues de travail ; des employés de production que je côtoyais lors d’un emploi alors que j’œuvrais comme ingénieur industriel pour une entreprise manufacturière située dans la ville de Rivière-du-Loup. (…) J’ai même recruté quelques membres autour du piano public au centre-ville de Rivière-du-Loup où je me rendais quelques fois les fins de semaine pour étaler mon répertoire. »
 
Brigands et crapules
 
Sur son site, le PRQ explique avec le plus grand sérieux que la monarchie est le plus sûr moyen de réaliser la souveraineté du Québec. Le tout avec une bonne dose de complotisme en ce qui concerne son chef, Samuel Giguère : « La classe politique du Québec grouille de brigands et de crapules. (…) Avant cette pandémie je me limitais à percevoir ces gens comme étant simplement des pillards. La pandémie a révélé la malveillance et la méchanceté chez eux. Ce ne sont plus simplement des brigands ou des crapules, ce sont des monstres. »
 
Les grands petits partis
 
Trois des seize petits partis en lice nous sont familiers, car ils représentent des familles politiques connues qui ont déjà eu des élus au Québec ou au Canada. Le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime, en existence depuis treize ans, n’a toujours obtenu que des scores confidentiels, mais son succès relatif lors de l’élection partielle de Marie-Victorin cet hiver, 10,4 %, lui laisse espérer une percée l’automne prochain. Le NPD Québec, lui, traîne de la patte depuis longtemps ; en 2018 il n’avait récolté que 0,57 % des suffrages.

Quant au Parti vert du Québec, c’est le plus gros des petits partis, avec 1,68 % des voix. Son chef Alex Tyrrell risque toutefois de lui avoir donné le baiser de la mort avec un étonnant gazouillis pro-Poutine le 4 mars dernier : « Les plus récentes demandes de la Russie, soit un statut neutre et non nucléaire pour l’Ukraine, sa démilitarisation, sa dénazification, ainsi que la reconnaissance de la Crimée, Donetsk et Louhansk sont des demandes raisonnables qui selon moi devraient être acceptées .»
 
Les partis antisystèmes
 

Parmi les treize autres petits partis, on retrouve plusieurs organisations antisystèmes. Le Parti marxiste-léniniste du Québec, âgé de 33 ans, est le seul des groupuscules marxistes à participer à la joute électorale. Vingt-cinq candidats en 2018, 1708 électeurs dans tout le Québec, la classe ouvrière ne suit pas.
 
Démocratie directe prône... la démocratie directe. « Le Québec appartient à tous les citoyens et citoyennes, et non à une classe dominante, prétendant depuis longtemps défendre nos intérêts. » Ce parti propose que les journalistes soient élus dans les régions au suffrage universel et révocables à tout moment par voie de référendum.
 
Québec Intégrité est une formation qui se bat contre le contrôle des cerveaux par l’État, contre la vaccination obligatoire et pour la primauté des droits parentaux sur les enfants. QI se méfie des dirigeants : « Il est temps que les décideurs deviennent imputables de leurs promesses non tenues sans justification et aussi de leurs crimes. »
 
À l’extrême droite, Équipe autonomiste s’en prend au « racisme systémique antihomme blanc » et à la « violence conjugale subie par les hommes ».
 
Enfin, sur le thème « tous pourris », le Parti nul fait une critique anarchiste de l’État et propose aux électeurs d’annuler leur vote en votant pour ses candidats.
 
Les partis de la question nationale
 
Le recul du Parti québécois a amené certains à formuler leur propre solution à l’éternelle question du statut du Québec. En affirmant la souveraineté du peuple et non pas des élites, Démocratie directe remet à une assemblée constituante citoyenne le soin de définir les règles du jeu. Même idée chez Climat Québec, fondé par Martine Ouellet, qui allie écologie et souveraineté et pour qui « la République du Québec sera construite par et pour le peuple ». L’Union nationale, elle, a une autre solution, une confédération d’États indépendants et le rétablissement de l’Assemblée législative et du Conseil législatif de… 1867. Fidèle à son nom, le Parti pour l’indépendance du Québec prône une déclaration unilatérale d’indépendance au lendemain des élections. Et enfin, le Parti 51 suggère purement et simplement que le Québec devienne le 51e État américain. 0,03 % des suffrages en 2018.
 
Les partis d’une seule cause
 
Il y a aussi les partis d’une seule cause. Le Parti animal Québec a beaucoup de propositions pour la défense des chiens volés, des cerfs de Longueuil et des animaux d’élevage, mais pas grand-chose pour les humains. Le Parti accès propriété et équité a pour principal objectif l’abolition des taxes foncières. Le Bloc Pot de son côté cherche un deuxième souffle depuis la légalisation de la marijuana, soit la levée totale de toutes les restrictions restantes. Enfin, le Parti culinaire, 169 voix en 2018, est le parti d’un seul chef, un chef cuisinier qui n’a que de bons mots pour une alimentation saine.
 
Un sérieux défi aux institutions
 
Aux élections de 2018, les petits partis représentaient 179 000 personnes. Si on y ajoute les 2,1 millions d’abstentionnistes, le nombre des exclus du système atteint presque 36 % de l'électorat. Avec seulement 1,5 million de bulletins de vote, 24,5 % de ce même électorat, la CAQ gouverne avec une majorité absolue. C’est là l’éléphant dans la pièce de la démocratie québécoise.

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Deux encyclopédistes au piano

6/12/2022

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Six-Media
Serge Truffaut
 
Jean-Michel Pilc joue autant du piano qu’Ethan Iverson n’en joue et vice comme versa. Non seulement ces deux lascars se penchent jour après jour, il est facile de l’imaginer, sur le même instrument, ils ont également en commun d’être des virtuoses. On tient à le préciser tout de suite comme illico, ils sont des virtuoses sans la pompe et sa jumelle préciosité.
 
Et comme il faut être précis, mettons qu’ils sont plutôt Don Pullen, parti beaucoup trop tôt (snif, snif), que Keith Jarrett. Eau quai ? Ce constat qui n’est en rien une opinion ou la conséquence d’une humeur permet d’avancer, voire d’affirmer, que le style de nos bonshommes, et non bonhommes, se confond avec la connaissance, le savoir.
 
Mettons (bis) qu’ils ont conjugué leur long et patient apprentissage avec l’école russe du piano, si chère à Paul Bley. En d’autres mots, et non des moindres, comme dirait Queneau, leur style est retentissant sans qu’il y ait présence de ces excès qui se cognent invariablement sur le mur de l’esbroufe.
 
Il est facile d’imaginer (bis no 2) qu’ici comme là, on se demande tout ça pourquoi ou à cause de quoi ? C’est tout simple, madame comme monsieur, il y a peu ils ont publié des albums : Alive - Live at Dièse Onze par Jean-Michel Pilc sur étiquette Justin Time et Every Note Is True par Ethan Iverson sur étiquette Blue Note.
 
Question formation, un complément d’information … Question, information, un pied en moins et nous avions une rime normande. Passons. Question formation donc, ces deux enregistrements ont été réalisés en trio. Dans le cas de Pilc, Rémi-Jean Bolduc est à la contrebasse et Jim Doxas au piano.
 
Dans celui d’Iverson, Larry Grenadier est à la contrebasse et Jack DeJohnette à la batterie.
 
Le live de Pilc est fait d’un standard, Softly As In Morning Sunrise, deux compositions de Miles Davis, soit Nardis et All Blues, et deux originaux signés Pilc: 11 Sharp et Alive. L’album d’Iverson est fait de neuf pièces écrites par lui et d’une par DeJohnette.
 
Le live de Pilc (bis no 3) est captivant de bout en bout. Il en est ainsi parce que notre homme prend son temps, tout son temps. À preuve, comme dirait Nestor Burma et peut-être Maigret, les trois interprétations écrites par autrui qui ne sont pas de simples tiers. Comme on les connaît, les morceaux écrits par Oscar Hammerstein et Davis, on sait un petit peu de quoi il en retourne.
 
Bon, tout ça pour dire que Pilc et ses camarades font preuve d’une maîtrise grammaticale remarquable. Ils ne se contentent pas de mettre un point ici et là après une brève sentence. Ils manient la virgule, le point virgule, celui de l’interrogation comme de l’exclamation avec une précision qui force l’admiration.
 
Non seulement ça, Pilc et ses collègues alternent la muscle avec la finesse avec un souci de perfection qui fait que … On dit: «bras-veau», comme dirait Queneau. Encore lui ? Oui! Prenez l’introduction de Softly As In A Morning Sunrise: elle est dynamique. Et comme elle la première du disque, elle nous capte. Prenez maintenant Nardis.
 
Son introduction est aussi douce qu’un prélude ou une sonate ou une fugue - allez savoir! -, du père Bach et de ses suites anglaises quand elles ne sont pas françaises. Dans tous les cas, tous les morceaux, Pilc prend soin d’explorer toutes les possibilités que permet chacun d’eux. « Chat-pot ! »
 
En ce qui concerne, notre cher Iverson, faut tout d’abord souligner qu’il est désormais lié à l’étiquette Blue Note. Si le Wall Street Journal n’était pas obsédé actuellement par la question existentielle qui plane au-dessus de l’économie - inflation stagflation, déflation monétaire et tutti quanti -, il aurait consacré sa une au fait que le contrat signé par Iverson avec Blue Note égale perte financière pour l’étiquette Sunnyside Records. Pour cette dernière, Mister Iverson avait signé deux galettes magnifiques en compagnie de Ben Street à la contrebasse et Albert Heath à la batterie.
 
Ce nouveau disque d’Iverson vaut son pesant d’or d’abord et avant tout pour sa palette sonore. Plus exactement, maître Iverson et son style qui se déhanche à la manière du très cher Thelonious Monk, propose un éventail de rythmes et de mélodies très riche. Cela tient peut-être à son coté encyclopédiste.
 
Là où Pilc se fait encyclopédiste, dans ses classes à l’Université McGill pour être exact, Iverson l’est dans sa recherche ou plutôt son étude exhaustive des styles qui ont traversé l’histoire du jazz. Disons qu’Iverson connaît autant Fats Waller que Cecil Taylor ou Red Garland.
 
Ceci fait qu’en compagnie de sacrées pointures, comme disent les jeunes du « genre-comme », Iverson nous régale par le biais de la diversité. Il est à la fois « bibope », sentimental, contemplatif, agacé et extraverti. Son disque est un magasin des styles. Ave !

                                                                                                           ***
À surveiller : le 22 juin, le Tribeca Film Festival présentera la première d’un documentaire consacré au trompettiste Roy Hargrove, décédé en novembre 2018 des suites d’une longue maladie. Pour réaliser son film, Eliane Henri a planté sa caméra ici et là dans les clubs de New York et Los Angeles ainsi qu’en Europe. Reste évidemment à savoir si Apple +, Netflix et autres vont acheter ce film.
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Disparu au pied du Mur

6/12/2022

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 « Mur des juifs un vendredi ». Jérusalem, Palestine, 19e siècle, 4e quart. M usée d’Art et d’Histoire du Judaïsme .
 
L’Histoire ressemble parfois à une série de portes qui coulissent, certaines ouvrant sur des lieux dont la vue suscite l’étonnement quand l’image que révèle une simple archive photographique ne correspond pas à ce que nous savons ou croyons savoir d’un site connu de tous. Ainsi en est-il de la photo ci-dessus qui montre un espace large d’à peine trois mètres – une sorte de venelle en fait – où des femmes et des hommes sont venus se recueillir devant ce que l’Occident chrétien désigne sous le nom de Mur des Lamentations.
 
Pierre Deschamps
 
Sur cette photo ancienne, point d’esplanade monumentale. Que le ressenti d’une étroitesse combien à l’opposé des dimensions actuelles de cet espace au pied de ce qui est connu dans la tradition juive comme le « Kotel ha-Maaravi » ou « Mur occidental ». Pour l’islamologue français Louis Massignon ce toponyme hébreu désignerait sans doute à l’origine le « Mur des Occidentaux » ou le « Mur des Maghrébins », le terme « Maghrébins » – ou « Maaravim » en hébreu – signifiant effectivement les « Occidentaux », considérés d’un point de vue oriental.
 
À regarder de près cette image ancienne, on aperçoit à gauche un vague muret si discret que l’on pourrait aisément croire qu’il est sans histoire. Or, à lui seul, ce muret est – pour dire les choses sobrement – le témoin de huit siècles d’histoire qui ont été brutalement effacés dans la nuit du 10 au 11 juin 1967 quand l’État d’Israël – pour célébrer l’issue victorieuse de la guerre des Six Jours terminée le jour même – a envoyé des bulldozers raser ce qui était jusqu’alors le quartier maghrébin de Jérusalem, dont l’histoire remonte au 12e siècle de notre ère.
 
Une histoire qui traverse les siècles
 
L’empereur germanique Frédéric Barberousse, les rois de France Philippe Auguste et d’Angleterre Richard Cœur de Lion ayant échoué lors de la troisième croisade à s’emparer de Jérusalem, Salah al-Din (Saladin) conserve de ce fait la main haute sur la Ville sainte et institue, dès 1187, dans la foulée d’un politique de repeuplement, des « fondations pieuses [« waqf » en arabe] destinées à héberger et à soigner les pèlerins originaires du Maghreb ». [1]
 
De cette décision naît le waqf Abou Mediene situé au pied du Mur occidental. Très tôt le waqf se voit attribuer le village de Aïn Karent (le nom moderne du village où serait né Jean-Baptiste, saint chrétien et prophète musulman) dont il tirera tout au long de son histoire des revenus qui lui permettront, sans discontinuité ou presque, de « subvenir aux besoins des Maghrébins résidant ou en visite à Jérusalem, c’est-à-dire à la fois aux pèlerins de passage dans la Ville sainte pour un bref séjour ponctuel, mais aussi aux familles d’origine maghrébine qui y vivent en permanence et qui auraient besoin d’être secourues ».
 
De tous ceux qui ont habité le waqf Abou Mediene, l’histoire a retenu le nom de Yasser Arafat. Orphelin de mère à l’âge de quatre ans, il vient vivre au début des années 1930 chez son oncle Salim Khalil Abu Saud, dont la famille est liée aux grandes figures du nationalisme palestinien émergent. En mai 1964, lors du congrès fondateur de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui se tient à Jérusalem, il revient une dernière fois dans la maison de son enfance.
 
De la bienveillance à la terreur
 
Jusqu’à la Première Guerre mondiale le waqf aura été placé sous l’autorité bienveillante des autorités impériales ottomanes, « une longue période de consolidation de la fondation, au cours de laquelle ses activités se renforcent et son périmètre d’intervention s’élargit ».
 
Mais dès 1912, « le projet de rachat du quartier maghrébin affleure [...] dans plusieurs documents dispersés au sein de différentes séries des Archives centrales sionistes, comme si les tensions géopolitiques ouvraient des opportunités et encourageaient les initiatives tous azimuts ».
 
La survenue d’incidents violents tout au long des années 1920 créera d’ailleurs un climat délétère aux alentours du waqf. En 1927, c’est une maison arabe située en face du Mur qui explose – une opération qui aurait reçu le feu vert de David Ben Gourion, alors secrétaire général de la Histadrut, une organisation syndicale pilier de la création de l'État d'Israël. En août 1929, le jour de la célébration du « mawlid », marquant l’anniversaire du Prophète Mahomet, des affrontements mortels entre Juifs et Musulmans – connus comme les « Émeutes du Mur » – enflammeront toute la Palestine mandataire.
 
Le jeu des puissances coloniales
 
L’entrée à Jérusalem du général britannique Edmund Allenby en 1917 va modifier durablement le fragile équilibre entre communautés juive et musulmane. De ce jour, « les nouvelles autorités britanniques se [méfieront] d’une communauté maghrébine qui pourrait servir de relais aux intérêts français en Palestine ». Elles vont aussi encourager le mouvement de cadastration et de privatisation du waqf, ce qui offrira un cadre propice aux usurpations de son domaine foncier.
 
Après la Première Guerre, les Lieux saints sont au programme des négociations du traité de Versailles. Aux yeux de Paris, « la Palestine doit revenir à la France », rappelle Dominique Trimbur, chercheur associé au Centre de Recherche Français de Jérusalem. En dépit du mandat accordé par la Société des Nations à la Grande-Bretagne sur la Palestine, les Français maintiendront longtemps leur objectif d’asseoir la mainmise de la France sur les Lieux saints afin de « préserver le statut particulier de la fille aînée de l’Église auprès de ces lieux ». [2]
 
Pour contrer l’influence britannique sur ce territoire, la France mettra à profit son rang de puissance coloniale pour s’affirmer comme protectrice des sujets maghrébins – Marocains, Algérien, Tunisiens – installés temporairement ou en permanence au waqf. Ce qui conduira la France à se présenter « avec fierté comme une “puissance musulmane” au Maghreb et au Proche-Orient » !
 
Ce mythe politique de « puissance musulmane » prend abruptement fin « lorsque l’indépendance de l’Algérie exclut définitivement le quartier maghrébin du périmètre d’intervention de la diplomatie française », une perte de protection qui créera « à son tour les conditions favorables pour une possible destruction physique du quartier ».
 
Rescapé de l’oubli
 
Au pied du Mur est une œuvre dont la réalisation a exigé de son auteur le dépouillement de « massifs documentaires » considérables enfouis dans des archives publiques et privées rédigées en plusieurs langues et disséminées en Israël, en Égypte, en Allemagne, en France, en Algérie, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Turquie, pour ne nommer que ces quelques pays.
 
Sans cette investigation gigantesque – minutieuse et systématique – qui retrace la longue histoire et le brutal effacement du waqf Abou Mediene – lequel n’est relaté ni par l’historiographie officielle d’Israël ni par l’historiographie palestinienne – que resterait-il du quartier maghrébin de Jérusalem ?
 
Rien, « sans doute, explique Vincent Lemire, parce [que cet effacement] se déroule en plein cœur d’un espace-temps particulièrement complexe à démêler, à dénouer, à déplier, et qu’[il] a été obscurci par l’ombre portée d’un “mur mitoyen” singulièrement encombrant ».
 
[1] Sauf indication contraire, les citations de ce texte sont extraites de « Au pied du mur », de Vincent Lemire.
 
[2] TRIMBUR, Dominique. Les Lieux saints chrétiens de Palestine comme préoccupation de la politique extérieure française (1917-1948) In : Diplomatie et religion : Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2016.

Au pied du mur

Vincent Lemire
Seuil – L’Univers historique
Paris, 2022

​390 pages
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Fouiller sous les apparences ...

6/10/2022

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L’horreur se cache souvent sous les airs les plus respectables : un paysage bucolique dans un coin tranquille, un bon samaritain, une maison d’édition pour enfants … Heureusement, il reste encore quelques vaillants journalistes pour ne pas se fier aux apparences, se porter à la défense des opprimés et, tant qu’à y être, de la veuve et de l’orphelin!
 
Michel Bélair
 
Michel Duquesne est journaliste d’enquête dans un grand quotidien montréalais situé pas très loin du Palais de justice. Dans L’étonnante mémoire des glaces, on le retrouve au retour des vacances de Noël, dans une salle de rédaction à peu près vide, au moment où il se voit forcé par son chef de pupitre de couvrir un fait divers à l’extérieur de la ville. Même s’il proteste. Même si une tempête de verglas est en train de paralyser le Québec tout entier.

Cette assignation va littéralement changer sa vie …
 
La pointe de l’iceberg
 
Duquesne n’a pas l’habitude, il va sans dire, des faits divers; mais déjà, de Montréal, on peut sentir quelque chose de louche dans cet incendie au milieu de nulle part qui a fait plusieurs victimes dont, semble-t-il, des enfants. Le grand reporter se lance donc sur les routes glacées en direction de Saint-Albert-sur-le-lac dans les Cantons de l’Est.
 
Sur place, il parvient à éviter la horde des curieux et des journalistes des chaînes d’information continue. Mieux encore: en se faufilant discrètement sous les rubalyses, Duquesne obtient le témoignage d’un pompier atterré qui lui confirme la mort d’au moins un enfant.
Il apprend aussi que l’incendie a été provoqué par un cocktail Molotov et que, heureusement, les deux blocs d’appartements situés à l’extérieur de la petite ville, loin de tout, ont pu être évacués à temps.
 
Mais il aperçoit surtout le porte-parole officiel de la Sûreté du Québec (SQ) qui ne devrait pas se trouver dans ce coin perdu. À moins que… quelque chose d’important ne l’amène là. Et Duquesne fonce vers la QG de la SQ.
 
Le journaliste sent tout de suite que William Latendresse aurait souhaité ne pas le voir; il n’y a pas que dans les romans que les journalistes deviennent le pire cauchemar des policiers…
 
En discutant avec le directeur des relations médias, Duquesne parvient à l’embrouiller dans ses contradictions et à obtenir des informations supplémentaires «off the record». Entre autres que l’incendie n’est que la pointe de l’iceberg pour ainsi dire, que la SQ enquêtait déjà sur les victimes… et qu’il ne doit pas ébruiter l’affaire au risque de tout compromettre.
 
Latendresse met fin à la discussion en aiguillonnant le reporter sur la piste — qui s’avérera rapidement fausse — d’un trafic impliquant des passeurs et des immigrants illégaux. Tout un fait divers …
 
Poupées gigognes
 
Mais Duquesne se méfie du policier et de sa «volonté de travailler dans le même but»; le supposé trafic transfrontalier aurait, par exemple, amené la GRC sur les lieux plutôt que la SQ. Il y a aussi qu’en fouillant les décombres, il trouve un livre pour enfants épargné par les flammes qui, plus tard, donnera un sens insoupçonné à toute l’affaire.
 
Mais nous n’en sommes pas là. Pour tout de suite, il cherche à y voir un peu plus clair et s’allie bientôt à une jeune journaliste de l’hebdo local, Anne-Marie Bérubé.
 
C’est par la très débrouillarde Anne-Marie qu’il apprend que des motards sont bien installés dans le coin et qu’il fait connaissance avec la petite histoire de Saint-Albert et de quelques-uns de ses personnages les plus colorés comme le maire et sa maîtresse, l’entrepreneur local, etc.
 
C’est aussi Anne-Marie qui l’éclaire sur les locataires miraculeusement évacués des deux blocs de logements isolés rendus inhabitables par le feu et la fumée … et sur leur lien probable avec les motards.
 
En fait, plus il creuse cette affaire, plus Duquesne se rend compte qu’elle se complexifie au point qu’il a l’impression d’avoir devant lui une sorte de gigantesque poupée gigogne: dès qu’il se penche sur un élément de l’enquête, il semble n’être là que pour en cacher un autre.
 
On ne vous racontera évidemment pas toute l’enquête menée par Duquesne et sa jeune complice — comme on ne vous a pas du tout parlé d’une ou deux autres «branches» du roman dont celle concernant la conjointe du journaliste qui cherche à faire condamner un mafieux.
 
Mais il est difficile de ne pas vous dire que cette histoire a d’importantes ramifications à l’international. En fait, l’affaire se fait de plus en plus lourde à mesure que le récit avance: comme Duquesne, le lecteur prend alors conscience qu’elle repose sur une série de trafics ignobles — dont celui d’êtres humains — malheureusement très réels.
 
Et d’ailleurs, quand les «méchants» constateront l’efficacité de l’enquête de Duquesne, sa vie sera très sérieusement menacé. Il s’en faudra même de très peu pour que le titre du livre ne prenne un sens encore plus concret, n’en disons pas plus.
 
Tout cela nous est presque raconté sur le ton du «reportage en infiltration» dans un milieu qui semble anodin mais qui cache de nombreuses surprises… comme tous les milieux le sont quand on prend la peine de ne pas se fier aux apparences.
 
L’écriture est alerte, vive, pleine de rebondissements, et le récit s’appuie sur une série de personnages solides et crédibles de même que sur une intéressante galerie de personnages secondaires. On saisit rapidement que Catherine Lafrance sait pertinemment de quoi elle parle.
 
Elle connaît en fait très bien le milieu journalistique puisqu’elle a travaillé longtemps comme journaliste ou productrice à Radio-Canada-CBC, TVA et TQS.
 
Elle se consacre désormais à l’écriture et publie déjà ici son quatrième roman en plus d’avoir écrit des nouvelles remarquées dans plusieurs ouvrages collectifs (On tue la une, Face à face, Crimes au musée) chez Druide éditeur.
 
Son personnage de Michel Duquesne apparaît pour la première fois dans ce qui devrait être le tout début d’une longue série, espérons-le…
 

L’étonnante mémoire des glaces
Catherine Lafrance
Druide
Montréal 2022, 422 pages
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