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Spécial Ukraine

5/12/2022

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Christian Tiffet
 
Que se passe-t-il au Kremlin ?
 
Daniel Raunet
 
Tel le tsar Nicolas II qui, en 1914, s’était fixé comme but la reconquête de Constantinople, l’autocrate actuel du Kremlin voit grand. Dans un article de 2021 sur « L’unité historique des Russes et des Ukrainiens »[1], Vladimir Poutine indiquait que son but ultime était la disparition de l’Ukraine en tant qu’État indépendant. Et « en1991, tous ces territoires, et surtout les gens qui y vivaient, se sont soudainement retrouvés à l’étranger. Et ils étaient déjà vraiment coupés de leur patrie historique ». 
 
Odessa et la Moldavie
 
Les réalités militaires contrecarrent ces ambitieux objectifs. Après son échec autour de Kyiv, certains ont cru que Poutine se contenterait de l’extrême sud-est de l’Ukraine, le Donetsk. Puis on s’est ravisé, l’objectif incluait aussi les rives de la mer Noire, mais pas le grand port d’Odessa. Jusqu’à ce que, le 22 avril, un haut responsable, le major général Rustam Minnekayev, révèle que la Russie a bel et bien l’intention de s’emparer d’Odessa[2], mais aussi, pour la première fois, de s’attaquer à un deuxième pays souverain, la Moldavie : « Le contrôle du sud de l’Ukraine est également un couloir vers la Transnistrie, où nous voyons également des cas d’oppression de la population russophone .»[3]
 
Une Eurasie de Lisbonne à Vladivostock
 
Poutine se garde bien d’abattre son jeu, mais dans son entourage on s’exprime ouvertement. Parmi les jusqu’au-boutistes, il y a l’ancien premier ministre et ancien président de la Russie, Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité depuis 2020. Le 5 avril, Medvedev écrivait sur les réseaux sociaux russes : « L’objectif est pour la paix des générations futures d’Ukrainiens eux-mêmes et la possibilité de construire enfin une Eurasie ouverte — de Lisbonne à Vladivostok. »[4]« Changer la conscience sanglante et pleine de faux mythes d’une partie des Ukrainiens d’aujourd’hui est l’objectif le plus important. » Bref, une rééducation de millions d'Ukrainiens nationalistes. 
 
Un faucon avec un plan — Sergueïtsev
 
Un des idéologues du régime, Timofeï Sergueïtsev, propose un plan clef en main pour « dénazifier » l’Ukraine. Dans un article publié le 3 avril par l’agence de presse officielle RIA Novosti, Sergueïtsev écrit : « La dénazification est un ensemble de mesures par rapport à la masse nazifiée de la population, qui techniquement ne peut pas être soumise à une punition directe en tant que criminels de guerre. »[5] 
 
Pour l’auteur, l’opération devra durer au moins 25 ans. Sergueïetsev prévoit d’abord une liquidation des militaires, policiers et miliciens ukrainiens identifiés comme « nazis ». « Cependant, en plus du sommet, une partie importante des masses, qui sont des nazis passifs, complices du nazisme, sont également coupables. » 
 
Les mesures prévues pour cette « désukrainisation » de l’Ukraine font froid dans le dos : délation généralisée, « publication des noms des collaborateurs du régime nazi et leur condamnation aux travaux forcés pour reconstruire les infrastructures détruites, en guise de punition pour leurs activités nazies (pour ceux qui ne seront pas soumis à la peine de mort ou à l’emprisonnement) », censure permanente, embrigadement de la population dans des organisations de masse prorusses, purge du système d’éducation, camps de rééducation, etc. 
 
La « désukrainisation » a peut-être commencé
 
Selon l’historienne française Françoise Thom, le plan Sergueïetsev n’est pas la simple élucubration d’un idéologue isolé, mais un mode d’emploi déjà appliqué dans les régions sous occupation russe. Dans un article publié par Desk Russie, un organisme pro-ukrainien, cette professeure de la Sorbonne écrit : « Nous assistons à des épisodes de terreur de masse, l’enlèvement systématique des élites politiques locales, la déportation des femmes et des enfants en Russie, l’organisation de famines pour “dresser” les populations contre le pouvoir ukrainien, comme l’avaient fait les bolcheviks. 
 
«Les premiers camps de filtration ont été créés pour trier les Ukrainiens en distinguant les “russifiables” de ceux qui ne le sont pas. Il ne faut pas croire que les atrocités que nous avons sous les yeux sont des “bavures” dues aux militaires. Il s’agit au contraire de la mise en œuvre d’une politique délibérée de rééducation par la terreur du peuple ukrainien. »[6]
 
Des purges à Moscou
 
Un journaliste russe spécialiste des services de sécurité, Andreï Soldatov, et sa collègue Irina Borogan font état de remous au sein du Service fédéral de sécurité, le successeur du KGB : « Face aux conséquences de ses propres erreurs de calcul, le président russe semble déterminé à se venger. La purge se poursuit au FSB Cinquième Service, chargé de créer un réseau de supporters en Ukraine. »[7] 
 
Les Russes peuvent-ils arrêter la guerre ?
 
Au Kremlin, les pacifistes se font rares. Anatoli Tchoubaïs, artisan des privatisations dans les années 90 et conseiller spécial de Vladimir Poutine sur le dossier climatique s’est opposé à l’invasion de l’Ukraine. Le 23 mars, il a fui à Istamboul. Également, Soldatov et Borogan estiment qu’il y a peu de chance que Vladimir Poutine soit renversé par une lame de fond démocratique. 
 
« Il n’y a plus d’opposition forte en Russie : les opposants politiques de Poutine sont soit tués, comme Boris Nemtsov, soit emprisonnés, comme Alexei Navalny. Beaucoup ont été contraints d’émigrer, comme Sergei Aleksashenko, l’ancien directeur adjoint de la Banque centrale, Andrei Kozyrev, l’ancien ministre russe des Affaires étrangères et presque toute l’équipe de Navalny, dont Vladimir Milov, l’ancien vice-ministre de l’Énergie. »[8] 
 
L’armée et le FSB 
 
Il est peu probable que les militaires fassent un putsch, pensent ces journalistes. Poutine a truffé l’armée d’agents du service de contre-espionnage militaire, la plus grosse des divisions du FSB. « L’armée russe déborde aujourd’hui littéralement d’officiers et d’agents du FSB. Il existe des règlements qui déterminent combien d’agents du FSB doivent être affectés à chaque unité militaire et à chaque installation militaire ». 
 
« La génération actuelle d’officiers du FSB, trente et quarante ans, ne se souvient d’aucun autre président que Poutine. (…) Ils contrastent fortement avec la génération précédente qui a servi dans les années 1990, lorsque le FSB a été contraint de manœuvrer constamment entre différents groupes politiques.De nos jours, les officiers du FSB ne servent que le président, suivant les ordres. Leur fonction principale est de combattre toute source de dissidence sans se poser de questions. » 
 
Poutine accusé … de mollesse !
 
Soldatov a perdu beaucoup de sources au début de la guerre, mais depuis que l’échec de l’offensive de février est devenu patent, il reçoit à nouveau des confidences. Le 26 février, il écrit : « Cela signifie-t-il que l’armée ou le FSB ont cessé de soutenir la guerre sur le territoire ukrainien ? La réponse courte est non, bien au contraire. 
 
L’armée russe estime que remplacer les objectifs de guerre initiaux par des objectifs plus modestes est une grave erreur. Selon de nombreux milieux militaires, sur le territoire ukrainien, l’armée russe ne combat pas avec les forces armées ukrainiennes, mais avec l’OTAN. »[9]
 
Les critiques commencent à s'exprimer en public. Soldatov cite un vétéran des forces spéciales de la Garde russe, Alexander Arutyunov, qui a adressé à Poutine un message vidéo devenu viral : « Cher Vladimir Vladimirovitch, décidez s’il vous plaît : combattons-nous dans une guerre ou nous masturbons-nous ? Parce que si nous nous battons, alors nous devons nous battre — c’est-à-dire infliger des coups partout. » Arutyonov exige une escalade massive avec des frappes aériennes contre les infrastructures ukrainiennes ou la fin de la guerre. 
 
Cité par Soldatov, le blogue FighterBomber, qui est proche de l’aviation militaire, voit également en l’OTAN le véritable adversaire : « Si l’initiative est reprise par la partie ukrainienne, alors je pense que l’utilisation des armes nucléaires sera pratiquement garantie. D’abord, selon les cibles (aérodromes, gares, postes de commandement) sur le territoire de l’Ukraine, puis selon la situation. »  
 
De conclure Soldatov : « Lors de conversations privées, l’armée et même les services spéciaux ont commencé à critiquer non seulement le cinquième service du FSB, mais également le président lui-même — qu’il avait pris la décision erronée de changer de stratégie militaire. (…) Les forces de sécurité ont pour la première fois commencé à prendre leurs distances avec le président. »
 
[1]Vladimir Poutine "Sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens", Стаття Володимира Путіна «Про історичну єдність росіян та українців», site du Président de la Russie, 12 juillet 2021 http://kremlin.ru/events/president/news/66182
 
[2]https://tass.com/world/1441591
 
[3]https://www.bbc.com/news/world-europe-61188943
 
[4]https://zen.yandex.ru/media/ria/medvedev-nazval-soobsceniia-o-sobytiiah-v-buche-i-informaciiu-o-roddome-v-mariupole-624beca77241f4617c00fc53
 
[5]Timofeï Sergueïetsev, "Que doit faire la Russie avec l'Ukraine", RIA Novosti, 3 avril 2022 https://ria.ru/20210410/ukraina-1727604795.html

[6]Françoise Thom "Les idéologues russes visent à liquider la nation ukrainienne", Desk Russie, 6 avril 2022 https://desk-russie.eu/2022/04/06/les-ideologues-russes.html
 
[7]Irina Borogan et Andreï Soldatov "Amitiés peu fiables de Vladimir Poutine", agentura.ru, 18 avril 2022 https://agentura.ru/investigations/nenadezhnaja-druzhba-vladimira-putina/
 
[8]Irina Borogan et Andreï Soldatov "Les forces de sécurité peuvent-elles renverser Poutine ?", agentura.ru, 13 avril 2022 https://agentura.ru/investigations/mogut-li-siloviki-svergnut-putina/

[9]Andreï Soldatov "Les forces de sécurité recherchent les coupables", agentura.ru, 26 avril 2022 https://agentura.ru/investigations/siloviki-ishhut-vinovatyh/

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L'information sous les bombes

5/12/2022

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Claude Lévesque

Comme le veut une loi officieuse de la guerre, la vérité aura été la première victime. Autre constatation : il n’y a pas de commune mesure entre les mensonges du Kremlin et ceux qui sont propagéspar « l’Occident ». 

Commençons par le début. Jusqu’au déclenchement des hostilités le 24 février en Ukraine,  Vladimir Poutine avait maintenu le flou, c’est le moins qu’on puisse dire, sur ses intentions avant de passer aux actes. Un flou qu’on peut déjà qualifier de « trompeur » et qui avait confondu de très nombreux experts. 

Ensuite, le président russe n’a pas perdu de temps pour verrouiller l’information chez lui, menaçant de lourdes peines quiconque oserait appeler « guerre » ce qu’il a nommé contre toute logique « opération militaire spéciale» : c’était une façon de s’assurer que la vérité ne se propagerait que très difficilement parmi la population. Cette mesure s’ajoutait à la fermeture des derniers médias indépendants.

Les autorités russes ont également limité l’accès aux informations en ligne, notamment à celles que diffuse Facebook, parce que ce réseau avait déjà  bloqué les comptes de quatre médias d’État russes.
 
Autoritarisme

Entre autres « fake news », le Kremlin a offert des démentis bien peu convaincants sur les horreurs découvertes à Bucha, à Irpin et à Marioupol,  dit n’importe quoi sur les causes et le nombre de victimes dans le naufrage du croiseur Moskva. Idem sur l’ensemble des pertes de vie chez ses militaires. 

Vladimir Poutine n’a jamais été un grand démocrate, mais il pousse l’autoritarisme vers de nouveaux sommets, en invoquant le secret défense et la cohésion nationale comme c’est peut-être légitime de le faire pendant une guerre qu’on appelle par son nom, mais beaucoup moins quand on n’a pas cette honnêteté.

Il est difficile de jauger la popularité réelle du maître du Kremlin, mais on comprend qu’il estime avoir besoin d’un succès militaire pour maintenir sa cote et, sait-on jamais, pour être réélu en 2024.

Afflux de journalistes

De nombreux journalistes ont afflué vers l’Ukraine. Accrédités ou non par les autorités de Kiyv, rattachés ou non à des rédactions, on les compterait par milliers. Pourquoi ? Le drame se déroule au cœur de l’Europe, chez des gens qui ressemblent aux lecteurs et aux téléspectateurs des grands médias qui ont les moyens de les y envoyer. En outre, on assiste à une guerre de forte intensité. Tant qu’elle le demeurera tout en comportant des risques qui demeurent acceptables, la couverture médiatique continuera d’être abondante. Quel organe de presse ne souhaite pas être aux premières loges lors des premières salves de ce qui pourrait devenir la troisième guerre mondiale ?

À Montréal, les accros aux informations en continu peuvent consulter plusieurs sources étrangères dont CNN, la BBC, EuroNews, TF1, France2, pour prendre connaissance des « breaking news » en provenance de l’Ukraine. RDI n‘est pas en reste. On doit souligner le travail exceptionnel qu’ont accompli Marie-Ève Bédard en Ukraine et Tamara Alteresco en Russie dès les premières heures du conflit.

Précautions et dangers

Les journalistes sur le terrain sont plus que jamais en contact avec leur rédaction par le truchement de messageries instantanées et d’autres instruments qui visent aussi bien à faciliter l’acheminement de l’information qu’à assurer leur sécurité. Les applications comme WhatsApp permettent notamment de rester en contact avec Paris, Londres ou Washington quand les réseaux de téléphonie cellulaire ne fonctionnent pas en Ukraine. 

Ces précautions n’ont pas empêché au moins sept journalistes de trouver la mort en Ukraine depuis le 24 février. Une quinzaine de reporters originaires de plusieurs pays avaient déjà perdu la vie depuis le début des hostilités dans le Donbass en 2014. 

Propagandes

En Occident, la plupart des médias ont pratiqué ce qui ressemble fort à de la censure ou, à tout le moins, à un parti pris total en faveur de Kiyv. Ils ne remettent pas toujours en question les « nouvelles » transmises par les sources militaires ukrainiennes. 

Ils agissent souvent comme si les Ukrainiens ne recourraient pas eux aussi à la propagande. 
Dans son dernier rapport annuel, publié le 3 mai, Reporters sans Frontières  place l’Ukraine au 106e rang sur 180 dans sa liste de pays jugés pour leur respect de la liberté de la presse. « Le paysage médiatique ukrainien est diversifié, mais reste en grande partie sous l'emprise des oligarques qui possèdent toutes les chaînes de télévision nationale - à l'exception du groupe de médias public Suspilne - et influencent leurs lignes éditoriales. Le secteur est également sous la menace constante des forces russes», peut-on lire dans le rapport, qui place la Russie en 155e place. 

Dans un monde idéal, l’information devrait être libre de toute influence, mais il s’adonne que les journalistes agissent souvent dans l’urgence. 

« Tenter de comprendre les causes de ce conflit en Ukraine ne revient évidemment pas à en relativiser les conséquences, ni à exonérer de ses responsabilités le gouvernement russe qui a choisi de déclencher la guerre. Mais la lecture binaire qu’en offrent les médias durant les premières semaines, l’absence de contextualisation ou de mise en perspective historique et (géo) politique méritent toutefois d’être soulignées », selon AcriMed*, un observatoire des médias.

Parmi les causes lointaines du conflit, on peut mentionner l’élargissement de l’OTAN vers l’est depuis la fin de la Guerre froide, et les mesures prises par Kiyv, surtout depuis la révolution de l’EuroMaidan en 2014, pour effacer les vestiges de l’appartenance à l’URSS, mesures qui ont pu prendre une tournure antirusse et mener au conflit du Donbass. 

S’il n’y a pas de commune mesure entre les mensonges des deux camps, c’est qu’il n’y a pas de commune mesure entre les crimes des deux camps, à commencer par celui d’agression qui a été commis par la Russie. 

En s’acharnant contre les habitations et les infrastructures civiles depuis trois mois, les forces russes ont rasé plusieurs villes ukrainiennes au point qu’elles ressemblent aux photos prises en 1945 en Europe après six ans de guerre.

Le Kremlin accuse systématiquement l’Ukraine de « falsifier » ou de mettre en scène les centaines de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité dont ses militaires sont accusés. Comme si les Ukrainiens, qui luttent pour leur survie, disposaient des moyens hollywoodiens et du temps nécessaires pour monter une mascarade de cette ampleur.

Poutine prétend agir pour « dénazifier » l’Ukraine. Comme si la Russie ne comptait pas elle-même de nombreux néo-nazis et suprémacistes blancs.


  • « Médias et Ukraine : la guerre en continu », 14 avril 2022, article écrit par un collectif et publié sur le site d’AcriMed, une association fondée en France en 1996.
Les sites suivants ont également été consultés pour la réalisation de cet article : Columbia Journalism Review, Comité pour la protection des journalistes, Reporters sans Frontières, Human Rights Watch.
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La caricature du mois

5/12/2022

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Le mariage de la carpe et du lapin

5/12/2022

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Serge Truffaut
 
Dans les semaines antérieures à l’élection présidentielle française, bien des hypothèses sur l’inévitable reconfiguration de l’horizon politique du pays étaient débattues au sein des états-majors des partis comme des salles de nouvelles sans oublier les allées des marchés. Des hypothèses en question, aucune n’avait évoqué celle qui est devenue une réalité : le mariage de la carpe et du lapin.
 
C’est pourtant cela, cette association contre nature entre les écologistes, les communistes et les socialistes d’un côté et lLa France Insoumise de l’autre, qui a été scellée dans les premiers jours du mois de mai. Sur le fond, l’économie mise à part, tout les oppose. 
 
Dénominateur commun
 
Sur l’Union européenne, sur l’OTAN, sur Poutine, sur le nucléaire et autres sujets ou fronts politiques, il n’existe aucun dénominateur commun entre les quatre formations rassemblées désormais sous la bannière de l’Union populaire écologique et sociale (NUPES). En d’autres termes, le PS, le PCF et les écologistes ont bradé les principes qui les distinguent entre eux pour le fonds de commerce. Bref, les élus impliqués se sont métamorphosés en épiciers.
 
Sur l’Europe, sujet central, Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, souligne, dans une tribune publiée par Le Monde : « Il est par ailleurs logique que la France insoumise (LFI) forte de son score au premier tour de la présidentielle, soit prédominante face à deux partis en difficulté. 
 
On peut néanmoins s’étonner de les voir s’aligner sur un programme eurosceptique. Il a été édulcoré, mais l’objectif reste de « désobéir » délibérément - et non pas du fait d’une situation intenable -, à de nombreuses normes européennes. » 
 
Démocratie entre parenthèses
 
Sur l’Europe, on retient que le patron de La France insoumise n’a ni le courage, ni la franchise de son opinion : il reste en son sein alors qu’il n’en veut pas. Il veut effectuer un « Frexit » sans demander aux citoyens français ce qu’ils en pensent. 
 
Bref, contrairement à Dave Cameron, l’ex-premier ministre britannique qui avait organisé un référendum sur le sujet, Mélenchon entend maintenir la démocratie, s’il devient premier ministre comme il en a l’ambition, entre parenthèses.
 
Ce qu’il entend faire avec l’Europe, Mélenchon l’entend le faire avec l’OTAN. Il souhaite sortir la France du commandement intégré. De ce côté-ci de l’Atlantique, il y a de quoi être effaré par le peu de cas que les médias français ont fait de la bienveillance, voire l’admiration, de Mélenchon pour Poutine. Alors que les deux ont ceci en commun : la haine des journalistes. À cet égard, on rêve du jour où la patron de LFI sera interrogé par un journaliste sur les journalistes russes assassinés et emprisonnés.
 
Avantages pécuniaires
 
Tous ces hommes et ces femmes dits de gauche étant devenus des boutiquiers plus préoccupés à préserver la rente que leur procure cet État honni - ils brandissent jour après jour le spectre de la 6e République, mais se glissent dans les avantages, notamment pécuniaires, que procurent la 5e, une fois en poste -, ils se sont partagés la géographie électorale.
 
Tout logiquement, LFI, fort du score obtenu ou plutôt fort de la faiblesse du PS, EECLV et du PCF, s’est réservée la part du gâteau. Dans la grande majorité des circonscriptions, seuls ses candidats seront inscrits sur les listes. Comme il fallait s’y attendre, cette répartition électorale s’est rapidement muée en foire d’empoigne. 
 
À Marseille d’abord et à Paris ensuite, des candidats du PS et du PCF ont refusé de se désister au profit de LFI. Autrement dit, les boutiquiers se chicanent comme des chiffonniers. Dans le cas de Marseille, le maintien du PCF a permis la mise en relief d’un fait politique local riche en enseignements : Mélenchon, député des environs, a trouvé le moyen de s’aliéner l’ensemble de la gauche locale.
 
À Paris, le maître de LFI a mis en lumière sa ferme volonté d’humilier le PS en général et la mairesse Anne Hidalgo en particulier. Il a refusé aux socialistes le soin de présenter un candidat dans les 20 circonscriptions de la capitale. On insiste : 0 sur 20 ! Il n’en fallait pas moins pour que le vent de la dissidence commence à souffler. Ce qui a été constaté dans le XXe arrondissement. 
 
Tambouille électorale
 

À l’extrême-droite et à droite, la préparation pour les législatives a été plutôt sobre, voire silencieuse. En tout cas, ce fut et ça reste le cas du Rassemblement national. Marine Le Pen, la patronne de cette formation, s’est mise au vert laissant le soin à ses lieutenants de manier la tambouille électorale. 
 
Au sein du parti Les Républicains, des grincements de dents se sont fait entendre à la suite de la défection de certains notables, comme Éric Woerth, partis rejoindre la formation du président Macron, soit évidemment La République en marche. Mais sur ce flanc, le maintien du front républicain si cher à Jacques Chirac tient la route : il n’y a aucune négociation avec l’état-major du Rassemblement national. 
 
À moins qu’un chapelet d’erreurs soit commis d’ici les législatives du 12 et du 19 juin, La République en marche devrait récolter une majorité de sièges. Cela étant, le morcellement politique des partis dits de gouvernement et la montée en puissance de la gauche dite radicale laissent entrevoir des lendemains politiques corsés. C’est le moins que l’on puisse dire. 

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L'inflation dope les finances publiques

5/12/2022

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Depuis le Grand Confinement du printemps 2020, le rebond de l’économie canadienne étonne même les plus optimistes. Les premiers à en profiter sont les gouvernements fédéral et provinciaux qui surfent en plus sur l’inflation galopante. Pour encore quelque temps, du moins.
 
Rudy Le Cours
 
La saison des budgets étant terminée, un constat s’impose: le solde des finances publiques à Ottawa et dans les dix capitales provinciales aura été nettement meilleur que ce que les boules de cristal de leurs grands argentiers avaient vu, un an plutôt. Et, une fois n’est pas coutume, la rigueur ou l’austérité ne sont pas à pointer du doigt. 
 
Les recettes ont été beaucoup plus élevées partout, sans exception. À Québec, par exemple, les coffres se sont remplis de 12,9 milliards de plus, à hauteur de 135,5 milliards. Cela a permis de ramener le déficit à 3,9 milliards, avant le dépôt de 3,5 millards au Fonds des générations.
 
Il y a mieux encore. En Alberta, le rebond des prix du pétrole a permis d’engranger 18 milliards.
 
La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont même dégagé de légers surplus.
 
« Collectivement, les gouvernements fédéral et provinciaux ont terminé l’exercice 2021‐2022 dans une situation financière nettement meilleure que ce qui était envisagé un an plus tôt » , analyse Randall Bartlett, directeur principal, économie canadienne chez Desjardins.
 
Non seulement les provinces améliorent-elles leur solde budgétaire, mais elles en profitent aussi pour se lancer dans de nouvelles dépenses, parfois structurantes, comme Ottawa avec son programme de garderies.
 
« Nous avons maintenant signé des ententes sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants avec chaque province et territoire. C’est la libération des femmes, s’est réjouie Chrystia Freeland dans son Discours sur le budget, le mois dernier. Plus de femmes n’auront plus à choisir entre les enfants ou la carrière. Il s’agit là d’une politique économique féministe à l’œuvre. Et la mesure rendra le coût de la vie plus abordable pour les familles canadiennes de la classe moyenne. »

Elle a raison : deux salaires sont de plus en plus essentiels pour permettre aux ménages de la classe moyenne de joindre les deux bouts.

Année électorale oblige, Québec et Queen’s Park remettent même quelques dollars à leurs électeurs: chèque de 500$ du gouvernement Legault, baisse de 5,7 cents le litre pendant six mois assortie d’une diminution des droits d’immatriculation annoncées par le gouvernement Ford, à la veille de se lancer en campagne.
 
PIB réel et PIB nominal
 
L’augmentation des recettes budgétaires peut venir de trois sources, la croissance de la production, la montée des prix et/ou un fardeau fiscal accru.
 
Pour l’année fiscale 2021-2022, l’inflation sous toutes ses formes autant que l’activité économique aura gonflé les recettes gouvernementales.
 
Si la croissance réelle de l’économie québécoise a été très vive, à hauteur de 6,3%, elle a été tout simplement sensationnelle lorsqu’on l’exprime en dollars courants, ou en termes nominaux: 11,3%! Ce qu’on appelle le produit intérieur brut nominal demeure la meilleure approximation de la taille de l’assiette fiscale.
 
Au niveau fédéral, l’écart est encore plus spectaculaire: le PIB réel a atteint 4,6 %, mais le nominal 13,1 %, une différence énorme de 8,5 points de pourcentage.
 
Pourtant, l’Indice des prix à la consommation (IPC) n’a augmenté que de 3,3% pour l’ensemble de 2021. 
Bien souvent, quand on additionne le PIB réel et la variation de l’IPC, on obtient grosso modo le PIB nominal. Cette fois-ci, cette règle de base ne marche pas.
 
Les facettes de l’inflation
 
L’écart entre le PIB réel et le PIB nominal s’appelle l’inflation du PIB ou son déflateur, un terme peu usité. Il tient compte des variations des prix des matières premières et des termes de l’échange, lesquelles sont peu ou pas prises en compte dans l’IPC.
 
En 2021, le Canada a vécu une amélioration des termes de ses échanges. Autrement dit, l’augmentation des prix de ce qu’il exporte a été plus forte que celle des prix de ce qu’il importe.
Pour illustrer ce concept, supposons que 100 marchandises exportées permettaient d’acheter 100 marchandises de l’étranger. C’est du un pour un. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) calcule ce ratio pour ses États membres avec 2012 comme année de base.
 
Le Canada est avant tout un exportateur de produits de base: pétrole, gaz, aluminium, nickel, blé, potasse, bois d’œuvre, etc. En général, ces prix ont monté en flèche avec la relance. 
 
En revanche, il importe des vêtements, des biens électroniques, des électro-ménagers, de l’équipement et des machines. La valeur de ces marchandises a grimpé moins vite.
 
Selon l’OCDE, le ratio des termes de l’échange au Canada s’établissait à 1,031, en 2019, dernière année avant la pandémie. Il a reculé à 0,98 en 2020, avant de rebondir 1,226, en 2021. Cela illustre à quel point le Canada et la plupart de ses provinces profitent de l’amélioration des termes de l’échange. Autrement dit, le pouvoir d’achat du Canada a augmenté l’an dernier.
 
Pouvoir d’achat et effet de richesse
 

La mesure du pouvoir d’achat s’appelle le Revenu intérieur brut (RIB). Il se définit comme la valeur du PIB réel additionné du gain ou de la perte d’échange. Dans la livraison d’avril de son Rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada estime à 8,8 % la croissance du RIB, en 2021. C’est bien près de l’écart de 8,5 % entre les PIB réel et nominal. Autrement dit, les finances publiques ont capturé l’essentiel de l’amélioration des termes de l’échange.
 
L’augmentation des prix des aliments, du carburant et du logement grugent au contraire notre pouvoir d’achat, tout en gavant les gouvernements: l’essence augmente, les redevances et les taxes de vente aussi. Les prix des maisons neuves s’envolent, la ponction de 14,975 % des taxes de vente fédérale et québécoise aussi.
 
Bref, à la différence de la première décennie du présent siècle jusqu’à la crise financière et la récession de 2008-2009, la croissance récente du RIB n’a pas entraîné d’effet de richesse pour les Canadiens.
 
Au début du siècle, le grand boom des prix des produits de base s’était accompagné de la baisse de ceux des biens de consommation qui résultait de la transformation de la Chine en usine du monde. 
 
Aujourd’hui, les prix des biens venant de l’Empire du milieu ne baissent plus. En plus, les confinements forcés de villes entières créent des ruptures d’approvisionnement qui nourrissent l’inflation des biens de consommation. Et que dire de l’invasion russe de l’Ukraine qui propulse les prix des céréales et des engrais!
 
Autre différence, le dollar canadien reste plutôt stable face au billet vert depuis un an alors qu’il s’était beaucoup apprécié à l’époque, passant d’un creux de 62 cents, en 2002, jusqu’à la parité et même au-delà, en 2007. Cette appréciation a profité à tous les consommateurs.
 
Plusieurs voient dans la conjoncture actuelle, faite d’instabilité géopolitique et de ruptures des chaînes d’approvisionnement, les germes d’une prochaine récession. Possibilité sérieuse, mais pas fatale.
 
Si elle se concrétise, alors les termes de l’échange vont s’inverser à nouveau et les finances publiques vont en pâtir. 
 
Si l’expansion de l’économie perdure et que la Banque du Canada parvient à juguler l’inflation des biens et services dédiés à la consommation, alors le Revenu intérieur brut réel pourrait encore augmenter davantage que le PIB réel. 
 
Les finances publiques continueront de s’améliorer et il y aura peut-être, enfin, un léger effet de richesse. Mais il ne faut pas rêver pour autant à un retour prochain de la parité du dollar avec le billet vert et encore moins d’une baisse des prix des biens en provenance de Chine.
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La langue, un enjeu déterminant

5/12/2022

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L’avocat Julius Grey,  juriste réputé dans la défense des libertés individuelles.

Louiselle Lévesque
 
Les Québécois anglophones sont aux abois. Le projet de loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec, le français, qui devrait être adopté d’ici la fin des travaux parlementaires à Québec le 10 juin, les inquiète au plus haut point.  
 
Pourtant, cette réforme concoctée par le gouvernement de François Legault est jugée trop timide par bien des Québécois francophones estimant qu’elle ne réussira ni à protéger la langue française ni à contrer son déclin. Le fait notamment que les établissements d’enseignement collégial ne soient toujours pas soumis à la Loi 101 constitue une erreur aux yeux de ceux qui voient dans l’exode de jeunes francophones et allophones vers les CEGEPS anglophones une réelle menace pour l’avenir du français au Québec.
 
Grogne et mécontentement
 
Les Anglo-Québécois craignent un effritement des services dans leur langue en vertu des nouvelles règles qui seront en vigueur dans l’administration publique, dans le réseau de la santé et dans le système de justice où désormais l’exigence de la maîtrise de l’anglais lors de la nomination des juges à la Cour du Québec et dans les tribunaux administratifs ne sera permise que si l’on en démontre la « nécessité ». La colère des anglophones est vive et le sentiment que le Parti libéral du Québec les a abandonnés pour mieux courtiser l’électorat francophone gagne en intensité.
 
À tel point que deux nouveaux partis politiques voués à la défense des intérêts des anglophones pourraient être dûment constitués d’ici les élections du 3 octobre. Mouvement Québec avec à sa tête Balarama Holness qui était candidat à la mairie de Montréal en novembre dernier et qui projetait de donner à la métropole le statut de ville bilingue. Et le Parti canadien du Québec que veut fonder Colin Standish, un avocat des Cantons de l’Est plus proche de la réalité des anglophones en région.
 
Des mesures « injustes »
 
L’avocat Julius Grey considère qu’il s’agit « d’un projet de loi terrible et injuste qui met les anglophones dans une situation où ils doivent envisager de former leur propre parti. C’est mauvais parce que ça isole les individus ».  Ce juriste réputé dans la défense des libertés individuelles avait soutenu devant le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies en 1988 que la Loi 178 que venait d’adopter le gouvernement de Robert Bourassa et qui imposait l’affichage unilingue français à l’extérieur des commerces portait atteinte à la liberté d’expression des anglophones. 
 
Le Comité de l’ONU lui avait donné raison. D’ailleurs, le gouvernement Bourassa avait dû recourir à la clause dérogatoire de la Constitution canadienne pour mettre en application cette loi promulguée à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada invalidant les dispositions de la Loi 101 relatives à l’affichage. 
 
Des pouvoirs démesurés

 
Julius Grey estime que le projet de loi sera aussi néfaste pour les francophones. Personne ne sera gagnant à son avis. Et il cible parmi les éléments les plus préoccupants les nouveaux pouvoirs accordés à l’Office québécois de la langue française « des pouvoirs de perquisition et de saisie d’ordinateurs. Plus de pouvoirs que la police dans le cadre d’une enquête pour meurtre. C’est absolument aberrant », ajoute-t-il.
 
Non au clivage linguistique
 
Le juriste rappelle que les Anglo-Québécois se sentent depuis très longtemps complètement isolés. « Ils ont le sentiment que personne ne veut les aider, que personne ne veut entendre leur voix ni le gouvernement fédéral ni les autres provinces. Ils sont laissés à eux-mêmes. » Il soutient que « personne ne veut se porter à leur défense même lorsqu’ils ont raison ».
 
Mais il est persuadé que la formation de ces deux partis ne sera d’aucun secours. Et il déplore que la minorité anglophone se retrouve devant un tel dilemme, soit opter pour « une représentation séparée mais qui est inefficace » ou encore porter son choix sur le Parti libéral du Québec où les anglophones «seront toujours sacrifiés au nom de la menace de faire élire un gouvernement du Parti québécois ou de la CAQ. Si vous nous boycottez ce sera eux qui seront élus », laisse-t-il tomber avec une certaine amertume.
 
Coup d’œil dans le rétroviseur
 
Traditionnellement, l’électorat anglophone vote pour le Parti libéral du Québec. Mais cette relation de confiance a été ponctuée d’épisodes tumultueux et chaque fois c’est la politique linguistique qui a mis le feu aux poudres. 
 
À l’élection de 1976, les Anglo-Québécois outrés par la Loi 22 adoptée deux ans plus tôt par le gouvernement de Robert Bourassa sont encouragés à donner leur appui à l’Union nationale. La Loi 22 faisait du français la seule langue officielle du Québec et imposait son usage dans l’affichage. Les libéraux sont battus et le Parti québécois prend le pouvoir favorisé par les gains enregistrés par l’Union nationale au détriment du PLQ dans plusieurs circonscriptions à forte présence anglophone.
 
En 1988, les anglophones sont en colère contre la Loi 178 qui faisait du français la seule langue d’affichage public et commercial au Québec et s’insurgent contre le recours à la clause dérogatoire par le gouvernement Bourassa pour assurer sa mise en oeuvre. 
 
Le premier ministre Bourassa fait face à une crise. Trois de ses ministres démissionnent : Clifford Lincoln, Herbert Max et Richard French. Robert Libman fonde le Parti Égalité et à l’élection de 1989 il réussit à faire élire quatre députés ce qui n’a pas empêché le gouvernement Bourassa d’être reporté au pouvoir avec une forte majorité. À l’élection suivante, celle de 1994, le Parti québécois revient au pouvoir, le Parti Égalité s’effondre ne réussissant à conserver aucun siège. Le chef fondateur Robert Libman qui avait laissé tomber son parti en cours de mandat pour siéger comme indépendant a lui aussi été défait.
 
Un exemple à ne pas suivre
 
Cette stratégie a été contreproductive estime Russell Copeman qui a été député libéral de Notre-Dame-de-Grâce à l’Assemblée nationale de 1994 à 2008 et qui est aujourd’hui directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Il ne croit pas lui non plus que la création de ces deux partis soit la voie à emprunter.  « Je ne pense pas que c’est dans l’intérêt des anglophones du Québec de supporter des partis comme ceux-là. À mon avis, l’expérience du Parti Égalité n’a pas été vraiment positive. Il y a un repli sur soi qui n’est pas à l’avantage de la communauté et qui ne sert pas le Québec non plus. »
 
Comme anglophone, il ne voit pas d’un œil favorable l’idée de s’isoler dans un parti que ce soit sur une base géographique comme le propose Balarama Holness avec son ambition de conquérir les circonscriptions de l’ouest de Montréal ou en fonction d’un clivage linguistique. Il croit plutôt dans l’intérêt de tout le monde, incluant les anglophones, de travailler à l’intérieur des partis qui ont des assises et des instances dans toutes les régions du Québec.
 
Et il constate que « les partis qui sont essentiellement formés comme mouvement de protestation ne survivent pas longtemps. Ils ne résistent pas aux changements et aux pressions politiques ».
 
L’absence de recours 
 
La  principale récrimination de l’ancien député libéral contre le projet de loi 96 a trait à l’utilisation de la clause dérogatoire pour soustraire l’ensemble du document législatif à l’application des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, ce qui aura pour effet de priver les citoyens de tout recours même si des abus sont constatés dans son interprétation.
 
Il est d’avis que les craintes soulevées à cet égard ne sont pas exagérées : « C’est une utilisation que je qualifierais d’abusive. Cette utilisation n’est pas illégitime mais je plaiderais pour une utilisation beaucoup plus restreinte » et surtout précise-t-il pas de façon préventive comme c’est le cas, c’est-à-dire avant même qu’un tribunal ne se soit prononcé. « De faire en sorte que les Québécois ne puissent pas contester des lois à cause du nonobstant c’est très difficile à accepter surtout pour les membres de la minorité. »
 
Et il ajoute que de façon générale quand on est membre d’une minorité on ne peut pas se fier simplement au bon vouloir de la majorité. « C’est pour ça que nous avons des chartes et c’est pour ça que nous avons des tribunaux. Il doit y avoir des recours et là il n’y en a pas. »
 
Russell Copeman dit croire dans la nécessité de promouvoir et de protéger la langue française au Québec. « J’accepte ça. Mais il y a des choses qui se passent depuis un certain nombre d’années qui me rendent excessivement mal à l’aise ». Et il poursuit : « Je suis attristé par tout ce qui se passe. Je me reconnais de moins en moins dans mon Québec. »
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Crises, la vérité, toute la vérité ?

5/12/2022

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Catherine Saouter

Dominique Lapointe
 
1998. Il n’y a pas eu de crise du verglas. Une tempête de givre certes, une catastrophe naturelle et technique majeure, mais pas de véritable crise. Pour les experts de la chose, ce qui caractérise la crise ce n’est pas essentiellement l’ampleur du phénomène, son rayonnement, sa profondeur, mais bien la capacité ou l’incapacité des autorités à faire face aux évènements.
 
C’est ainsi que l’incendie des fûts de BPC à Saint-Basile-le-Grand, dix ans plus tôt, avait rapidement dégénéré en crise. Pendant d’interminables semaines, les responsables de la sécurité publique, comme ceux de la santé, seront incapables d’évaluer avec assurance le danger des émissions et dépôts de dioxines et furanes dégagés par la combustion des huiles contaminées. 
 
La rareté de ce type d’événement et le peu d’expérience tirée de la catastrophe de Seveso (Italie) en 1976 expliqueront ces tergiversations. Le retour des quelque 3500 évacués se fera donc plus tard que nécessaire. 
 
Lors du verglas de 1998, il demeure remarquable comment la courte équipe autour du premier ministre Lucien Bouchard a su apporter des mesures de mitigation rapides et appropriées alors que s’effondrait de jour en jour la capacité de transport et de distribution en électricité du Québec, et, par la suite, dans les semaines qui suivirent. Mais pourtant, la crise épiait.
 
Une certaine vérité
 
Au plus sombre de la semaine, au fameux vendredi noir du 9 janvier, le premier ministre Lucien Bouchard, toujours accompagné du président d’Hydro Québec, André Cayer, doit prendre la parole. Mais cette fois, le choix du message est crucial. Les usines de filtration d’eau potable qui alimentent Montréal n’ont plus de courant. Il ne reste que quelques heures de réserve d’eau dans les bassins. 
 
Le PM avertira les Québécois que le pire est à venir sans toutefois détailler le danger qui les guette. Le pari est le suivant : si on annonce une pénurie éventuelle d’eau potable, on ne fera que devancer son aboutissement avec les provisions que tous et chacun voudront stocker. Comment ensuite abreuver, ou pire encore, évacuer une agglomération de deux millions de personnes, qui plus est sur des ponts qui laissent tomber des obus de glace ?
 
Finalement, un ingénieux délestage territorial et un raccordement des usines de filtration permettront à la métropole d’éviter le chaos total, la crise. Le pari était gagné. 20 ans plus tard toutefois, la tempête sanitaire s’avèrera beaucoup plus complexe.
 
 
Publier quelles données ?
 
Dès le début de la pandémie, lors du premier confinement en avril 2020, des chercheurs universitaires exhortaient le gouvernement à dévoiler ses données brutes sur la progression de l’épidémie au Québec. Hésitation à Québec où on préférait digérer, donner un sens aux chiffres, avant de les livrer au public.
 
Par exemple, comment expliquer aux gens de certaines régions qu’on les tient en confinement comme à Montréal alors qu’on ne sait pas combien de personnes y sont touchées par la Covid ? En fait, on savait fort bien qu’on ne rapportait encore aucun cas ici et là. Une information qui aurait paru contradictoire avec l’effort considérable exigé des résidents et pourtant, des mesures adaptées aux circonstances.
 
Politologue, géographe, directeur de recherche honoraire de l’École polytechnique de France, Patrick Lagadec est un pionnier de la recherche sur les crises majeures qu’il décortique depuis 40 ans. 
 
Joint à Paris, il est un ardent défenseur de la transparence mais transparence de quoi s’empresse-t-il d’ajouter : « Une communication claire, rapide avec le maximum de détails est importante, mais tout mettre sur la place publique peut nuire aux équipes qui tentent de sauver des gens, c’est un vieux principe connu en gestion de crise. Aujourd’hui cependant, on se retrouve dans des univers beaucoup plus chaotiques, des vagues scélérates permanentes, des opacités extrêmement fortes, sur des cartographies non stabilisées. On est donc dans des logiques de paris, beaucoup plus que dans des logiques de certitudes. Le problème qui était : comment dire ce que je sais,  devient : qu’est-ce que je dis quand je ne sais pas ? »
 
Le faux débat de la restauration
 
En décembre 2020, le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, comparaît en commission parlementaire pour faire le point sur la gestion de l’épidémie au Québec. À la lumière des avis de l’INSPQ, qui sont désormais publiés, le député péquiste Pascal Bérubé se lance dans un interrogatoire à charge pour démontrer que gouvernement et experts se contredisent sur les mesures sanitaires. Exemple : les restaurants qu’on aurait décidé de fermer en zone rouge malgré la recommandation de la Santé publique. 
 
À maintes reprises, le Dr Arruda et son collègue, le Dr Richard Massé, tenteront d’expliquer que l’avis formulé était plutôt un mode d’emploi pour maintenir les restaurants ouverts qu’une recommandation de les laisser ouverts, la distinction étant loin d’être accessoire (le gouvernement choisira de les fermer par esprit de cohérence avec d’autres établissements).
 
Les deux experts seront rapidement mis KO par la stratégie démagogique du parlementaire. Les médias et le public retiendront donc la fausse nouvelle, bien vendeuse, soigneusement fabriquée par le député.
 
Au cours de la même session, on ira même plus loin en réclamant les minutes des discussions des experts avant même que des avis soient déposés. Un souhait qui, on peut le comprendre, ne sera jamais exaucé pour la bonne raison que ces échanges se font plus souvent à bâtons rompus, devant l’urgence du jour. 
 
Patrick Lagadec : « On va demander tout ce qui a été dit, les enregistrements, tout ce qui a été écrit et les gens vont se réunir et s’exprimer en fonction des enregistrements qui sont faits. Ça finit par être la folie absolue, alors qu’on navigue dans l’inconnu. Le public est en mesure de comprendre qu’on a pas les réponses si on prend le temps de l’expliquer correctement, et c’est là la clef de la confiance, un déterminant indispensable à la résolution de la crise. »
 
Affronter le chaos
 
Mais, selon Lagadec, la communication n’est que l’aboutissement d’un processus beaucoup méticuleux d’un plan d’intervention auquel personne n’était préparé : « Il faut des forces de réflexion rapide qui sont en appui aux décideurs dont la seule mission est de se poser les questions de base : quel est le problème, quels sont les pièges, avec quels acteurs on joue, quelles sont les initiatives à prendre, tout ça en temps réel, sans prendre la place des décideurs, des experts, et des communicants, mais en parallèle. Comme ça n’existe pas vraiment, le risque de confusion et de collision des messages va demeurer considérable dans l’avenir, l’avenir chaotique »
 
Pour consulter les travaux de Patrick Lagadec :
www.patricklagadec.net 
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Les droits de la droite

5/12/2022

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La Charte canadienne des droits et libertés a été enchâssée dans la nouvelle constitution canadienne il y a quarante ans. Depuis, les droits des personnes et la légitimité étatique d’établir des règles collectives s’affrontent. La Charte canadienne a clos le débat judiciaire, mais elle n’a en rien contribué à l’égalité juridique entre les femmes et les hommes. 
 
Jean Dussault
 
La libarté, comme elle se gueule sur des tribunes entre autres radiophoniques ou dans un « Truck-you convoy », est une chimère pour celles et ceux qui ne l’atteindront jamais tout seul, qui auront toujours besoin de regrouper leurs faibles forces pour résister au rouleau compresseur des pouvoirs  en place. Politiques, étatiques, militaires, économiques ou religieux. 
 
D’une part, les droits et libertés des moins forts ne peuvent être défendus et atteints que par des actions collectives, d’autre part, la charte est devenue la clé passepartout de tout un chacun qui conteste quelque action collective, souvent gouvernementale en démocratie, que ce soit. Comme s’il n’y avait pas de différence entre un droit fondamental et l’envie de faire à sa tête. 
 
P.E-T
 
Il existe une solide thèse pour soutenir que le principal but du père de la Charte canadienne moderne officialisée par la reine d’Angleterre le 17 avril 1982, le libéral Pierre Elliott-Trudeau, n’était pas de défendre des citoyens.nes contre des gouvernements indûment intrusifs. Son objectif aurait plutôt été de spécifiquement châtrer la capacité d’un gouvernement du Québec d’édicter des règles communes pour un vivre-ensemble dans «La Belle Province », entre autres par la loi 101. 
 
L’histoire, sinon les « chartistes », se souvient que ce preux défenseur des libertés individuelles est le responsable de l’emprisonnement de cinq cents innocents.es au nom de la raison d’État pendant la Crise d’octobre de 1970, douze ans avant la charte qui devait protéger les citoyens.nes contre les exactions étatiques. 
 
Le même homme s’était servi du pouvoir étatique en 1975 pour geler les prix et les salaires dans un effort pour juguler l’inflation galopante. Comme, d’ailleurs, il a la même année nationalisé des compagnies pétrolières pour créer Petro Canada (privatisée depuis).
 
Au nom de l’intérêt national canadien, son gouvernement a inventé en 1980 le Programme Énergétique National qui a, de facto, enlevé aux Albertains et  Saskatchewanais  la propriété de leurs ressources naturelles, en l’occurrence le pétrole et le gaz naturel. Deux ans avant de se proclamer le défenseur des droits des individus contre l’État envahisseur.
 
Il ne s’agit pas de déterminer si PE-T est soudainement devenu défenseur des droits individuels après s’en être, disons, moins préoccupé ; il ne s’agit pas non plus de décider si ces diverses mesures très interventionnistes étaient appropriées ou pas. Il s’agit plutôt de constater que la préséance des droits individuels sur la raison d’État a été chez lui à géométrie variable, sa propre opinion en la matière en étant l’axe déterminant.
 
Du pareil au même
 

Fleur de lys pour feuille d’érable, la charte québécoise en vigueur depuis 1976 émane de la même vision, celle non pas d’une société, mais d’un bac-à-individus, un ramassis d’intérêts particuliers qui bouillonnent dans le même chaudron. Chaque ingrédient peut prétendre être le plus ceci ou le moins cela et aucun chef ne peut influencer la qualité de la soupe qui va en émerger parce qu’il ne peut pas lier les rétifs et tellement libres condiments en un mets commun.
 
Une recette pour un rata monumental.
 
L’échelle des droits
 
La gradation des droits est frappée d’anathème ; ça ne se fait pas de prioriser les droits. À titre d’exemple probant, la loi ne peut pas déterminer que le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes prime sur le droit à l’expression, entre autre religieuse. La ministre libérale de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, a essayé en juin 2008 de prioriser le droit à l’égalité. 
 
Elle a fait adopter à l’unanimité de  l’Assemblée nationale une loi qui ajoutait une déclaration dans le préambule de la Charte québécoise. Il s’agissait d’y garantir que l'égalité entre les femmes et les hommes soit un des fondements de la justice au Québec, avec « le respect de la dignité de l'être humain et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires. »(1) Selon la ministre, c’était un pas important: « C’est une valeur qui fait consensus. L'égalité entre les hommes et les femmes, ici, on partage cette valeur-là (…) ».(2)
 
Son collègue ministre de la Justice, Jacques Dupuis, a refroidi l’enthousiasme dans la minute : « Une fois que cet amendement sera apporté, tous les gens devront se comporter en tenant compte que, chez nous, une des valeurs fondamentales, c'est l'égalité entre les hommes et les femmes .»(3)
 
Unedes valeurs importantes, mais pas la valeur prépondérante. L’intention de graduer les droits est restée une intention. L’effort sincère de placer les droits de la majorité, en ce cas-ci féminine, au-dessus des droits d’un.e citoyen.ne pour ceci ou cela, ne cadre pas dans le principe chartiste des droits des personnes-individuelles-autonomes-et-oh-combien-libres-si-chers-au père-de-la-charte.
 
La ministre l’a  reconnu un an plus tard : « Mme St-Pierre a soutenu qu'il était impossible, sous peine de contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés, d'assurer la primauté du droit des femmes à l'égalité sur les motifs religieux ».(4)

Le dernier barreau

C’est dans la foulée de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements culturels que Madame St-Pierre avait tenté de placer l’égalité femme/homme au haut de l’escalier juridique. Elle a expliqué plus tard ce qui, et qui, l’avait fait trébucher : « Je me suis butée en effet à un enjeu juridique selon lequel il ne doit pas y avoir de hiérarchisation des droits. Je me suis aussi butée à beaucoup de résistance du monde juridique dont le Barreau du Québec ».(5)
 
La courte échelle
 
La Charte a préséance sur les lois qui établissent des règles collectives ; le droit à l’égalité de la femme dans sa condition de femme n’est pas plus haut dans l’échelle des droits que celui, par exemple, d’invoquer sa foi, ou son athéisme ou son impiété. Pour citer à nouveau l’ancienne ministre : « Il était impossible, sous peine de contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés, d'assurer la primauté du droit des femmes à l'égalité sur les motifs religieux. »
C’est de même. 
 
1-Radio-Canada.10-06-2008
 2-id.
 3-id
4-Presse Canadienne. 09-09-2009
 5-Couriel à l’auteur. 14-04-2020
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Israël-Palestine : « Trop c'est trop ! »

5/12/2022

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Gal Mosenson
​Vivian Silver (au centre), porte-parole de Women Wage Peace (Les Femmes font la paix).

Claude Lévesque
 
Les confrontations entre Israéliens et Palestiniens se sont succédé depuis la création de l’État juif en 1948. Elles s’ajoutent aux guerres qui ont opposé Israël aux États arabes voisins en 1948, 1956, 1967, 1982 et 2006. Les Israéliens et les Palestiniens ont ainsi vécu entre une non-paix et un véritable état de guerre pendant trois quarts de siècle.
 
Depuis le mois de mars, les attentats perpétrés en Israël, la répression exercée en Cisjordanie, les échanges de roquettes et de missiles entre l’État juif et des miliciens de la bande de Gaza font craindre une fois de plus que la situation ne s’aggrave.
 
Le « processus de paix » basé sur les accords d’Oslo et symbolisé par la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin à Washington en septembre 1993 avait insufflé un certain espoir à tous ceux et celles qui croient à la paix. Malheureusement, l’absence de progrès qu’on ne peut qu’attribuer à la mauvaise foi qui règne dans les deux camps, ou à la croyance que seule la force peut régler les problèmes, ont nourri le cynisme au fil du temps.
 
Cela ne veut pas dire que la bonne volonté n’existe nulle part. Le 26 mars, le Jerusalem Post a publié un article sur une rencontre, au bord de la mer Morte, entre un groupe de femmes israéliennes (Women Wage Peace – Les Femmes font la Paix) qui exigent que leur gouvernement cherche des alternatives politiques à la guerre et un collectif de femmes palestiniennes (Women of the Sun – Femmes du Soleil) qui ont des idées semblables. La nouvelle n’a pas eu la diffusion qu’elle méritait. 
 
En Retrait présente une entrevue réalisée par visioconférence avec Vivian Silver, porte-parole de Women Wage Peace (Les Femmes font la paix) à la mi-avril. Mme Silver, native de Winnipeg, habite en Israël depuis 48 ans.
 
Comment le mouvement appelé Women Wage Peace a-t-il commencé ?
 
Cela remonte à 2014. La bande de Gaza venait de vivre une troisième guerre en cinq ans. C’était une guerre particulièrement difficile. J’habite dans un kibboutz à Beeri, près de la frontière. Dans cette région, nous sommes habitués à la guerre, à la vengeance et à la violence du  terrorisme. 
 
C’est très traumatisant. La majeure partie du pays n’est pas affectée par ces guerres, du moins elle ne l’avait pas été jusqu’à ce moment-là. En 2014, les Israéliens ont été mobilisés en grand nombre. Des fils, des frères venus de tout le pays, sont allés se battre. Les femmes en ont eu assez. 
 
Plus de 70 ans de guerre presque ininterrompue ne nous ont apporté ni la paix ni la sécurité. Nous devons briser le paradigme qui veut que seule la guerre peut nous apporter la paix. Un groupe de femmes ont lancé à Tel Aviv un mouvement non hiérarchique voué à ce changement de paradigme. 
 
Seule une entente politique peut apporter la sécurité aux gens des deux côtés de la frontière. Il est temps de prioriser les gens plutôt que les luttes pour le territoire. Des vies ont été perdues ou brisées.
 
En novembre 2014, nous avons convoqué des conférences d’action sociale à Sdérot, près de la bande de Gaza. Nous avons marché le long de la route en portant des banderoles qui disaient : «  Enough is enough !» (Trop c'est trop !) . C’est ainsi qu’est né WWP. 
 
Nous avons maintenant 50 000 membres, des Israéliennes arabes et juives, de gauche et de droite, religieuses et laïques, du centre et de la périphérie, C’est un mouvement de femmes, mais les hommes peuvent en faire partie.  
 
Exception faite de Golda Meir, aucune femme n’a été présidente ou première ministre d’Israël ou des territoires palestiniens. Faut-il y voir un  lien avec le fait qu’on n’a jamais réussi à établir une paix durable ? 
 
Je dois être prudente dans ma réponse parce que la recherche démontre que, quand les femmes ont été impliquées dans les négociations, des conflits ont été résolus d’une façon ou d’une autre, que ce soit en Afrique du Sud, en Irlande ou ailleurs. Les chances pour qu’une paix durable s’installe sont plus grande quand des femmes sont impliquées. Les femmes envisagent la sécurité d’une façon inclusive, en tenant compte de facteurs économiques et sociaux, et pas seulement militaires.
 
Gardez-vous encore l’espoir après cette violence qui a de nouveau éclaté ?
 
Une fois de plus, notre gouvernement est sur le point de tomber. C’est un gouvernement très atypique, qui inclut pour la première fois des Arabes, la droite, le centre et la gauche. Si problématique soit-il, ce gouvernement est plus progressiste que tous ceux que nous avons eus au cours des douze dernières années. Le projet de loi sur les Alternatives politiques que nous voulons voir adopter dépend de qui est au gouvernement. 
 
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet de loi ?
 
Nous en avons eu l’idée dans la foulée de la guerre de Gaza de 2014, après avoir appris que le gouvernement n’avait discuté d’aucune alternative à l’action militaire. Seule la guerre avait été envisagée, comme d’habitude. Après deux années de discussions, nous avons décidé de présenter un projet de loi ayant pour but d’obliger le cabinet à discuter d’alternatives politiques avant de s’engager dans une guerre. 
 
Si la loi est adoptée, cela nécessitera les ressources budgétaires appropriées et un organisme réglementaire pour s’assurer que les discussions ont lieu. Il nous a fallu trouver un membre de la Knesset pour déposer le projet de loi. C’est une députée du Parti travailliste [Emilie Moattie] qui l’a fait. 
 
Son parti ne faisait pas partie de la coalition à l’époque, mais il s’y est joint depuis lors. Cette coalition est tellement fragile : on ne sait pas quels obstacles apparaîtront. Qui votera en faveur du projet de loi et qui s’y opposera ? La question devient partisane : plusieurs membres de la Knesset ne voteront pas sur le fond mais sur l’affiliation de la personne qui a présenté le projet.
 
Alors, on ne sait pas ce qui arrivera. Mais nous recevons beaucoup de soutien de la part d’experts en sécurité et d’institutions d’enseignement, ce qui nous fait garder espoir. 
 
Qu’en est-il de votre rencontre avec Women of the Sun (Femmes du Soleil) le 25 mars ?
 
C’était à l’occasion du Mois de la Femme. Nous étions en contact avec des Palestiniennes depuis la création de WWP. Nos réalités sont tellement différentes : nos gouvernements, nos contraintes, notre statut dans les gouvernements sont très différents. Nous avons des mouvements qui répondent à ces différentes réalités.
 
C’est plus difficile pour les Palestiniennes que pour les Israéliennes de former un mouvement pro-paix. Il y a beaucoup de gens en Palestine qui pensent que les Palestiniens ne devraient avoir rien à faire avec les Israéliens, et qui sont opposés à toute forme de normalisation.
 
Nos deux organisations pensent que nous devrions travailler chacune de son côté à influencer nos gouvernements respectifs afin de parvenir à une entente politique. Women of the Sun a été formé le 25 mars. Nous avons lancé ensemble un « appel des mères ». Nous espérons obtenir quatre millions de signatures de partout dans le monde. 
 
Croyez-vous toujours à la solution dite des « deux États »?
 
Nous avons décidé, d’un point de vue stratégique, de ne privilégier aucune solution. Nous insistons sur la nécessité absolue d’en venir à une entente. Toute entente qui serait mutuellement acceptée et respectée par les deux parties nous conviendrait.
 
Nous avons pris cette décision parce que plusieurs plans de paix dans lesquels des millions de dollars ont été investis remplissent les bibliothèques de toutes les universités et ministères du monde. Et ils n’ont rien donné. 
 
À moins qu’il y ait la volonté d’en arriver à une entente, cela n’arrivera jamais. Il est moins important de présenter une solution spécifique que d’en arriver à ce que le public influence le gouvernement et lui dise : nous ne nous soucions pas tant de la solution spécifique que de voir se profiler quelque chose qui soit acceptable aux deux parties.
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Dur, dur d'être journaliste en Grèce

5/12/2022

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Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai rappelle tous les ans depuis 1993 aux gouvernements leur devoir. Lequel ? Respecter et faire respecter le droit de la liberté d'expression. Elle bat de l’aile dans un pays, en plein cœur de l’Europe.
 
Antoine Char
 
Les Grecs ont ces mots pour désigner les liens entre le monde économique, les médias et la politique : le « triangle du péché ». Un vrai sacrilège pour une démocratie, ce « pouvoir du peuple » né il y a plus de deux millénaires à Athènes.
 
Depuis la chute du régime des colonels en 1974, une dizaine de « grandes familles » mettent leur nez partout. Y compris dans les salles de rédaction qu’elles contrôlent directement ou non. Résultat : leur ingérence coûte cher à la liberté de la presse. 
 
Ainsi l’an dernier, la Grèce perdait cinq places sur le classement mondial de la presse, établi par Reporters sans frontières (RSF). Elle se situait au 70e rang sur 180 pays, derrière la Pologne et … la Mongolie. Et cette année ?

Elle dégringole à la 108eplace. « Non seulement la Grèce échoue à protéger ses journalistes, mais en plus il y a, à l’évidence, une volonté politique à réduire la liberté de la presse », note RSF dans son rapport publié le 3 mai.

Couvrir, par exemple, la crise migratoire, toujours chronique, est devenu une course à obstacles et les interventions policières contre des photoreporters lors de manifestations sont monnaie courante. 

Un nouveau code pénal « absurde »

L’élection en 2019 du conservateur Kyriakos Mitsotakis, descendant d’une des principales dynasties de la politique grecque (son père a été premier ministre de 1990 à 1993), n’a en rien calmé le jeu avec ce qui reste du « quatrième pouvoir ». Un exemple ?

Vingt-quatre heures après sa victoire, le gouvernement de la Nouvelle-Démocratie (ND) prenait officiellement le contrôle de l’agence de presse nationale ANA-MPA et d’ERT, la télévision nationale.

Deux ans plus tard, le 11 novembre dernier, le Parlement adoptait un nouveau code pénal criminalisant les « fake news ». 

Ainsi, tout journaliste, éditeur ou propriétaire du média responsable de « fausses informations susceptibles de susciter l’inquiétude ou la crainte du public ou de saper sa confiance dans l’économie nationale, la capacité du pays ou la santé publique », peut être sanctionné par des amendes ou même des peines d’emprisonnement de trois mois à cinq ans de prison. Où est le problème ? Il n’y a pas de définition claire de ce qu’est une fausse information. 

« C’est une loi absurde qui devrait être abolie car elle n’est pas conforme avec les règles de conduite de l’Union européenne », note Ingeborg Beugel, une journaliste néerlandaise vivant à Athènes depuis 40 ans (échange de courriels).

« Arrêter de mentir »

Spécialisée dans les questions migratoires, elle demanda en novembre à Mitsotakis, lors d’une conférence de presse, s’il comptait  « arrêter de nier et de mentir » sur les allégations de refoulement en mer de migrants venant de Turquie. Outré, il lui répondit qu’elle n’avait pas le droit de l’insulter « moi et le peuple grec ». 
Elle fut ensuite accusée d’être une agente pro-turque, puis agressée dans la rue. Elle jugea alors bon de quitter Athènes. « J’y suis retournée incognito le 28 décembre ! Je crains bien sûr pour ma sécurité. Nous sommes criminalisés, harcelés, intimidés mais je ne peux les laisser gagner. »

L’État domine

Le paysage médiatique grec est dominé par cinq conglomérats et l’État est roi. Comment ? Les 15 quotidiens, les 10 hebdomadaires, les 16 journaux dominicaux, les six chaînes de télévision privées (en plus des deux chaînes nationales) les 120 chaînes locales et le millier de stations de radio,tiennent le plus souvent grâce aux subventions gouvernementales. Pas étonnant qu’ils soient à plus de 95 % pro-gouvernementaux. 
 
« L’indépendance éditoriale est sous pression, de la part des propriétaires (dans la mesure où il s’agit de magnats des affaires dont les intérêts économiques s’alignent sur la politique gouvernementale) et du gouvernement », explique Laurens Hueting du Centre européen pour la liberté de presse (échange de courriels).
 
Cette érosion de la liberté de presse inquiète-t-elle les 11 millions de Grecs ? Pas du tout. 70 % de la population ne fait pas confiance aux médias. Le plus fort taux de l’UE.

À tout ceci, l’assassinat du journaliste Giorgos Karaivaz, tué à bout portant devant chez lui le 9 avril 2021, par deux hommes à moto, est tombé dans l’oubli. Il enquêtait sur des scandales touchant le gouvernement de la Nouvelle Démocratie. Onze ans plus tôt, un autre reporter, Sokratis Giolias, était abattu par un groupe extrémiste.

Vingt ans de prison ?


En ce moment, deux journalistes ayant enquêté sur des scandales de corruption et d’évasion impliquant de hauts responsables politiques sont poursuivis pour « manquement à leur devoir » et « participation à un complot ».Kostas Vaxevanis, et Gianna Papadakou, risquent vingt ans de prison.
​

Ce procès se déroule dans la quasi-indifférence et lorsque le ministre d’État George Gerapetritissoutient que « la Grèce adhère pleinement aux valeurs d’une société démocratique et à l’état de droit, en particulier le pluralisme et la liberté de la presse », il peine à convaincre, même s’il ajoute : « Si nous n’adhérons pas toujours à ce que les médias écrivent, nous défendons (...) le droit d’une presse libre à travailler sans entrave et indépendante de toute interférence extérieure » (dépêche de l’AFP, 19 décembre 2021).

La liberté de la presse en Grèce est peut-être absolue … mais à géométrie variable. Jamie Wiseman, de l’International Press Institute (IPI), parle « de liens néfastes entre les dirigeants politiques et les magnats des médias, de conditions de travail très précaires pour les journalistes causées par le krach économique [2008-2009] d’un manque d’accès à l’information et aux données publiques […] » (échange de courriels).

Les Grecs ont inventé ce mot pour décrire les relations incestueuses entre le politique et l’économique : « diploki » (imbrication). Dur, dur d’être journaliste dans un pays où tout est « imbriqué ».
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Regards sur la presse japonaise

5/12/2022

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Carte postale des années 1930 montrant le siège de l’Asahi Shinbun.
Le fonctionnement de la presse et le métier de journalisme au Japon sont fort différents de ce que l’on peut observer en Occident. Dans « Le dernier empire de la presse » [1], César Castellvi se livre à une enquête approfondie sur ce modèle singulier dont voici un portrait brossé à grands traits. 
 
Pierre Descamps
 
Dans l’Empire du soleil levant, les titres de presse affichent des tirages à faire rougir de jalousie les quotidiens d’Europe et d’Amérique. Si la palme revient au Yomiuri Shinbun qui tirait à huit millions d’exemplaires en 2019, l’Asahi Shinbun n’était pas en reste avec tout de même un respectable six millions d’exemplaires la même année. 
 
La lecture des cinq quotidiens nationaux et des quelque quarante-cinq quotidiens régionaux est fortement liée à une tradition qui remonte aux années d’avant-guerre. Qu’il suffise de mentionner qu’en 1936 le pays comptait mille cent vingt-quatre quotidiens régionaux. Par ailleurs, jusqu’au milieu des années 2000, il était assez courant qu’une famille soit abonnée à un quotidien local et à un quotidien national.
 
Le fait que les grands quotidiens « ont volontairement limité leur alignement partisan et donc la part consacrée à l’opinion dans leurs colonnes » leur permet de ratisser large et de fidéliser plus facilement un vaste lectorat. À cette volonté de ne pas s’aliéner quel que lecteur que ce soit s’ajoute la prise en compte du vieillissement de la population. Bon nombre de publications en sont venues à adapter la taille des caractères et l’importance des rubriques en fonction d’un lectorat de plus en plus âgé. 
 
Enfin, le très fort taux de vente par abonnement – 95 % des ventes en 2020 contre 4 % en kiosque – procure aux titres de presse japonais une assise financière confortable.
 
Actionnariat et conglomérat
 
Les principaux groupes de presse nationale possèdent une part non négligeable de leur capital. Dans quatre des cinq journaux nationaux, « l’actionnaire majoritaire est une association représentant les salariés ou les gestionnaires internes de l’entreprise».
 
À l’opposé de ce que l’on observe en France par exemple, « on ne trouve pas dans la presse nationale japonaise [...]de groupes de presse possédés par de grands actionnaires issus du monde industriel ou de la finance ». À vrai dire, « le capital circule peu et les principaux actionnaires [externes]sont souvent des actionnaires historiques » .
 
À l’instar de l’Asahi Shinbun, « les entreprises éditrices des principaux quotidiens nationaux font en général partie d’un groupe plus large dirigé par une entreprise mère. ». Ainsi le groupe Asahi, l’un des principaux conglomérats médiatiques du pays, est présent dans la presse quotidienne, la presse magazine, l’édition de livres, la télévision et, depuis quelques années, les médias en ligne ainsi que les technologies numériques. 
 
À quoi s’ajoutent une offre de programmes de formation et l’organisation d’événements culturels et artistiques, des activités touristiques, des séminaires de toutes sortes, des investissements dans l’immobilier. Une diversité qui « garantit une stabilité financière essentielle ». 
 
Pour ce qui est du Yomiuri Shinbun, contentons-nous de signaler que le Yomiuri Shinbun Holdings est propriétaire d’une équipe de baseball, les Yomiuri Giants. C’est comme si Gesca, qui était autrefois responsable de la publication du journal La Presse, avait possédé en même temps les Canadiens de Montréal !
 
Une profession sans statut
 
Au Japon, le journalisme n’est pas constitué en profession reconnue. On n’y trouve pas d’école de journalisme. C’est tout juste si l’université dispense quelques cours « plus généraux et théoriques que professionnalisants ». À tel point que les recruteurs sont même méfiants « à l’égard de la recherche académique sur les médias ». En outre, il n’existe aucune carte de presse ni organisation qui peut être considérée comme « une association ou un syndicat représentatif de la profession journalistique ».
 
À la manière de ce qui se fait dans la plupart des secteurs d’activités, l’embauche en groupe de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur se fait par concours à période fixe, une pratique qui remonte aux années 1920. Entre 2010 et 2016, sur 312 candidats ayant réussi le concours de “journalisme”, 253 étaient titulaires d’une licence et 58 d’une maîtrise. Une forte majorité des candidats retenus avait « étudié le droit, la littérature ou les sciences politiques ». Un seul n’avait pas de diplôme d’études supérieures.
 
Il s’ensuit que, « dans la mesure où les formations professionnelles ne constituent pas un prérequis, l’apprentissage commence au lendemain du recrutement ». C’est ainsi qu’un stage de formation court permet aux nouvelles recrues d’apprendre « les fondements de la rédaction d’articles, le maniement d’un appareil photo ou [en l’absence de carte de presse]la manière de transmettre correctement une carte de visite ».
 
Un long cheminement
 
Signalons que « la découverte du métier par la couverture des affaires policières constitue une expérience commune à la majorité des journalistes ». En ce qui a trait à la période d’apprentissage du métier, elle s’effectue généralement dans les nombreux bureaux régionaux que possèdent les quotidiens régionaux. Ce passage obligé peut durer entre quatre et six ans, à raison de deux ou trois transferts d’une région à une autre au cours de cette période.
 
À l’Asahi Shinbun, où les bureaux régionaux font office de vivier de détection de reporters prometteurs, les plus performants peuvent espérer ensuite une première affectation dans une des rédactions centrales du journal à Tokyo, Osaka, Nagoya ou Fukuoka. « Au bout d’une dizaine d’années et après un passage dans un de ces sièges, la mission principale est souvent d’aller couvrir des régions géographiquement éloignées pendant une période plus ou moins longue .»
 
Tous les ans, les journalistes reçoivent des ressources humaines une note qui est sensée mesurer la qualité de leur travail. Mais dans les faits, « ce sont les journalistes qui observent et jugent les autres journalistes ».
 
Des singularités peu communes
 
« Parmi les lieux réguliers de travail, les clubs de presse sont essentiels. Ce sont des regroupements officiels de journalistes issus des différents journaux en charge de la couverture d’une même source institutionnelle – mairie, préfecture, commissariat de police, lieu culturel ou grande entreprise ». 
 
La présence de ces kisha kurabu dans les locaux de ces administrations pose, il va sans dire, la question de l’indépendance de la presse, d’autant que certains de ces clubs ne sont séparés du service des communications de ces mêmes administrations que par une simple porte.
 
Si l’anonymat des articles est chose commune, il s’explique principalement par une division du travail toute particulière : « Les reporters sur le terrain récupèrent les informations, un chef d’équipe est chargé de faire le gros du travail de rédaction et, finalement, c’est à l’éditeur adjoint que revient le travail d’édition, de correction et de réécriture . »
 
Un secteur en mutation
 
In fine, César Castellvi observe que le secteur de la presse au Japon vit actuellement une mutation semblable à ce qui a eu cours il y a quelques années en Europe et en Amérique : baisse des tirages papier, passage au numérique dont les revenus sont plus faibles qu’attendu, crise des vocations, féminisation des rédactions. Mais quand l’on connaît la vitesse des changements au pays des cerisiers en fleurs, on peut facilement imaginer qu’elle sera plus lente qu’ailleurs. 
 
[1] Les citations de ce texte sont extraites de « Le dernier empire de la presse », de César Castellvi.
 
Le dernier empire de la presse
Une sociologie du journalisme au Japon
César Castellvi
CNRS Éditions
Paris, 300 pages
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Une famille royale marquante

5/12/2022

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Radio-Canada
La série Liaison influente, version française d'Atlantic Crossing.

De 1940 à 1945, la princesse héritière Martha de Norvège s’est exilée aux États-Unis pour fuir l’occupation allemande. Son mari Olav et son beau-père Haakon VII ont pour leur part trouvé refuge en Grande-Bretagne. La princesse est devenue une femme d’action dans ses interventions auprès du président Franklin Delano Roosevelt pour aider son pays. Cette histoire a donné lieu à la série télévisée Liaison influente, version française d’Atlantic Crossing. Dans le premier volet de cet article, intitulé Un pan inconnu de l’histoire, Kari-Gro Balzersen Quraeshi, une Montréalaise d’origine norvégienne, nous a fait part de ses commentaires sur la série.
Dans ce second volet, l’octogénaire nous raconte ses souvenirs liés à la famille royale ainsi que le rôle et la place que celle-ci occupe dans la société norvégienne.
 


 Marie-Josée Boucher

Dans la série Liaison influente, qu’on peut voir sur tou.tv.extra, la famille royale doit fuir en 1940, car les Allemands sont aux portes du pays. La princesse héritière Martha, son mari le prince Olav ainsi que leurs trois enfants, les deux filles, Ragnhild et Astrid, et le benjamin, Harald, prennent un train. Malheureusement, il est bombardé par l’aviation allemande et la famille royale doit fuir dans la forêt.

Pour Kari-Gro Balzersen Quraeshi, il a été difficile de voir ce passage, car elle a vécu une expérience semblable en 1940. Fille unique, elle n’avait que huit ans quand elle a dû fuir Oslo et emprunter le même chemin avec sa mère. « Nous y avons marché, puis nous avons dû nous mettre à courir pour prendre le train.»
 
Le père de Kari-Gro Balzersen Quraeshi, àl’emploi d’une institution bancaire, était retenu au travail, car il devait cacher des papiers, avait-il affirmé à sa femme et à sa fille.
 
La petite fille d’alors et sa mère ont pu arriver à destination et trouver refuge, pour quelques jours, à la ferme de la tante de sa mère, à Blaker, à 60 km d’Oslo. « Quand nous sommes arrivées, les Allemands s'étaient déjà installés et manoeuvraient avec des canons pour résister à l'aviation britannique. » Celle-ci a finalement battu en retraite.
 
« Nous avons été chanceux. Mon père a pu nous rejoindre, il n’est pas allé en prison et personne de ma famille n’a été blessé ou torturé », rapporte Kari-Gro Balzersen Quraeshi. 
 
Elle se souvient également qu’un trio changeant de soldats allemands a occupé une grande chambre de la ferme de la tante de sa mère pendant toute la durée de la guerre. 
 
Olive Kleve 
 
Au début des années 1960, par l’église norvégienne de Montréal, Kari-Gro Balzersen Quraeshi a fait la connaissance d’Olive Kleve, qui avait été gouvernante, pendant la guerre, des trois enfants de la famille royale.

Plus âgée que Kari-Gro Balzersen Quraeshi, Olive Kleve avait résidé à la Maison-Blanche, puis à Pook’s Hill, la résidence en banlieue de Washington, où la princesse Martha a vécu pendant la guerre. Olive Kleve a dit à Kari-Gro Balzersen Quraeshi avoir adoré son travail auprès des trois enfants, et elle a confirmé avoir vu un jour le président Roosevelt venir en visite à Pook’s Hill. 
 
Expo 1967
 
L’Exposition universelle de 1967 a donné lieu à la venue, à Montréal, de nombreuses personnalités et têtes couronnées. Harald, alors prince héritier de Norvège et âgé de 30 ans, est venu à l’Exposition. 
 
Kari-Gro Balzersen Quraeshi se souvient que l’église de la communauté avait organisé une réception pour accueillir le prince. « On avait délibérément placé Olive Kleve à la vue à l’entrée. Quand Harald l’a vue, il s’est écrié : Olive!, et il l’a prise dans ses bras. Ça a été un beau moment! », raconte l’octogénaire. 
 
Olive Kleve, restée célibataire, est décédée au début des années 1980. Elle a passé les dernières années de sa vie à Westmount, à peindre et à côtoyer la communauté norvégienne. 
 
Retour triomphal en 1945
 
Une fois la guerre terminée, la princesse Martha et ses enfants sont rentrés au pays par bateau le 7 juin 1945, un passage présenté dans la série Liaison influente. 
 
Ils ont été accueillis avec enthousiasme par son mari Olav et par la population. « C’était un grand jour. Je les ai vus arriver. J’étais placée  en haut du quai, dans un fort appelé Akershus Festning. J’avais 13 ans à l’époque, et je m’en souviens comme si c’était hier!», relate Kari-Gro Balzersen Quraeshi, la voix nouée par l’émotion.  
 
Décès de la princesse Martha
 
La princesse héritière Martha n’a pas pu être reine. En 1954, elle a succombé à un cancer. Kari-Gro Balzersen Quraeshi était étudiante au collège à l’époque. « Elle avait des problèmes de santé. Dans la série, nous voyons qu’il lui arrive de saigner du nez. C’était tragique. Nous étions tous tellement tristes. » 
 
En 1957, à la mort de son père Haakon VII,le prince Olav est devenu roi. Il ne s’est jamais remarié. Olav est décédé en 1991. Son fils Harald V, aujourd’hui âgé de 85 ans, assume les fonctions de roi depuis lors.
 
Famille royale traditionnelle
 
La famille royale de Norvège n’a aucun pouvoir politique. La population y est par contre très attachée. Lors d’un référendum en 1905, les Norvégiens ont voté à 78,9 % pour la conservation de leur monarchie. 
 
En 2020, la Norvège comptait 5  379 000 habitants.
Si la famille royale dispose d’un service de sécurité, elle ne vit pas pour autant dans sa tour d’ivoire.« Elle très près de la population », souligne Kari-Gro Balzersen Quraeshi.
 
D’ailleurs, les trois enfants d’Olav et de Martha ont épousé des roturiers. Par exemple, le fils d’Olav, devenu roi Harald V en 1991, a convolé avec Sonia Haraldsen en 1968. Kari-Gro Balzersen Quraeshi raconte que le roi Olav, sévère avec ses enfants, souhaitait que Harald épouse une princesse. Devant la menace d’Harald d’abdiquer s’il était tenu à cette règle, Olav a dû céder.
 
Fête nationale incontournable et communauté au Canada
 
Le 17 mai est jour de Fête nationale en Norvège, car il souligne la signature de la Constitution du pays en 1814. « Un grand défilé se tient dans la capitale. Il n’y a rien de tel dans le monde entier! », s’exclame Kari-Gro Balzersen Quraeshi. « On voit des milliers de drapeaux partout et les écoliers marchent dans les rues de la capitale jusqu’au palais. » 
 
La famille royale est toujours là, au balcon, pour saluer la population.
Selon les données de Statistique Canada, en 2016, on comptait 463 275 Canadiens d’origine norvégienne au pays, et 4 415 dans la grande région de Montréal.
 
Kari-Gro Balzersen Quraeshi est intarissable de souvenirs. « C’est comme ça quand vous avez une longue vie », répond-elle, avec un sourire malicieux. La très sympathique dame franchira le cap des 90 ans en juin prochain. « Je suis Canadienne, mais une partie de mon cœur appartient à la Norvège ! » 
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Marie-Josée Boucher
Kari-Gro Balzersen Quraeshi est intarissable de souvenirs.
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L'hénaurme Mingus

5/12/2022

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                                                       Fine Art America

Serge Truffaut

Le 22 avril dernier, Charles Mingus, le monumental parmi les nobles du jazz, aurait eu 100 ans. Histoire de singulariser l’importance de cette date, de la sortir de son apparente banalité, le label Résonance publiait le lendemain un inédit intitulait Mingus - The Lost Album From Ronnie Scott’s, sous la forme de deux CD ou trois vinyles.

​Le surlendemain et les jours, voire les semaines, d’après, on constata une avalanche de faits dont Mingus était évidemment le dénominateur commun. Du Wall Street Journal à la RTBF, de médias allemands à ceux d’ailleurs, Mingus fut à l’honneur. 
 
En France, la radio publique fit la totale: une émission spéciale suivie de la transmission, en deux soirées, d’un spectacle enregistré par Radio-France à Chateauvallon en août 1976. Bref, l’homme en colère occupait à nouveau le devant de la scène. En d’autres termes, la logique était respectée.
 
Car il n’est pas nécessaire de cogiter pendant des heures, de disserter en long et en large sur les valeurs musicales de Mingus, sur ses passions sonores pour réaliser qu’au fond il y a Mingus d’abord et les autres. Bon. Histoire de modérer cette sentence, disons qu’il y a Mingus, Armstrong, Ellington, Monk, Coltrane, Parker, Davis. Après, il y a les autres.
 
Cela souligné, on retient que le grand Charles ou plus exactement ses compositions restent encore et toujours d’actualités. Là, on tient à préciser qu’il s’agit bel et bien de ces actualités qui alimentent jour après jour le rythme de l’Histoire. Mingus, on insiste, fut de loin le plus politisé des musiciens de jazz. Il le fut tellement qu’il croisa le fer avec Miles Davis plus d’une fois et toujours avec ardeur, voire brutalité.
 
Il a écrit Remember Rockefeller At Attica ? Remplacer le nom propre et le lieu et ça donne Remember Poutine At Boutcha. L’envie vous prend d’entendre un manifeste politique ? Écouter Fables of Faubus. Un édito sur le nazisme ? Free Cell Block F, ’Tis Nazi USA. Un commentaire sur les ravages du trafic de la cocaïne ? Écouter Cumbia & Jazz Fusion. Ou…
 
Ou encore une suite musicale conçue pour le bénéfice du réalisateur Elio Petri lorsque celui-ci adopta le roman que Leonardo Sciascia avait consacré aux multiples vices des chrétiens-démocrates en Italie ? Écouter Todo Modo. Sur le racisme dit ordinaire ? Black Bats And Poles et beaucoup d’autres. 
 
Elle est d’autant plus d’actualité, l’oeuvre de Monsieur Mingus, que rares sont aujourd’hui les musiciens de jazz quelque peu révoltés. Pour faire court, mettons que l’on évolue désormais sous le régime des labels dirigés par des préposés à l’ambiance, les ECM et consorts. Mettons qu’à part Archie Shepp, la scène du jazz-politique est vide. Passons.
 
Plus haut, on a évoqué l’homme en colère, l’homme qui écrivit une extraordinaire autobiographie intitulée Moins qu’un chien. Comme il était ainsi, il était évidemment passionné. La plupart du temps.  Cela dit, il tenait à s’entourer de musiciens qui ne faisaient pas dans la dentelle. Et sur ce front, Mingus nous a autant gâtés que son idole Duke Ellington: les saxophonistes Booker Ervin, George Adams, Bobby Jones, Ricky Ford, les trompettistes Johnny Coles, Jack Walrath, les pianistes Horace Parlan, Jaki Byard et Don Pullen, sans oublier le batteur Dannie Richmond ont tous été repérés et dirigés par maître Charles.
 
Pour ce qui est de l’inédit mentionné plus haut, disons qu’il est un pied de nez effectué par Resonance à l’endroit de CBS. Car c’est bel et bien CBS, cet énorme acteur de l’industrie, qui avait décidé d’enregistrer plusieurs shows de Mingus au Ronnie’s Scott, célèbre club de jazz londonien, en août 1972, pour une éventuelle publication. 
 
Mais voilà que quelques mois plus tard, CBS décidait de virer tous les musiciens de jazz sous contrat à l’exception de Miles Davis. On l’aura compris, depuis lors les bandes sont demeurées dans les archives d’on ne sait quel sous-sol, jusqu’au jour où les limiers de Resonance - étiquette spécialisé dans la diffusion d’inédits -, mettent la main dessus. 
Le résultat est comme d’habitude : à la hauteur de l’homme. Plein de verves, et de rebonds. En un mot : passionnant.
 
                                                                                              ***
La 38e édition du Festival international de musiques actuelle de Victoriaville se tient du 16 au 22 mai. Parmi les artistes invités, on a retenu le nom du saxophoniste baryton Mats Gustafsson. Il faut confesser que de cette esthétique musicale, on ne connaît pratiquement rien. Pour en savoir plus: fimav.qc.ca
 
                                                                                             ***
Bassiste virtuose, c’est le cas de le dire, Charnett Moffett est mort des suites d’une crise cardiaque le 14 avril. Il avait 54 ans. Très apprécié de ses collègues mais aussi des producteurs. Moffett avait accompagné notamment les frères Marsalis, McCoy Tyner et Pharoah Sanders.
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Lectures à demeure

5/12/2022

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À la vue de cette « Femme lisant » (Alexsei et Sergei Tkachev), l’historien Patrick Cabanel aurait pu lui chuchoter que « nous avons besoin de livres et de pierres », compagnons des lieux que nous habitons et qui nous habitent. Une façon de dire que les maisons qu’on habite sont plus que des constructions en dur : des édifices mémoriels où l’on pénètre sans savoir si on en ressortira un jour. Ainsi vont certaines lectures.

Pierre Deschamps
 
Enfant je jouais dans des maisons abandonnées ou en construction. Certaines à jamais inscrites dans le périmètre de mes souvenirs par des odeurs de plâtre frais ou d’humidité qui adhèrent depuis lors aux parois de mon cerveau olfactif. Aujourd’hui encore je me promène dans de telles maisons, mais ce sont des imprimés qui m’y font entrer. 
 
La maison du souvenir

Ainsi en est-il de la maison « visiblement à l’abandon derrière une grille ornée de glycines » dont Stefan Hertmans nous fait découvrir l'intérieur « où résonnent les échos de l’Histoire » [1]. Dans cette maison a vécu un nazillon flamand qui « porte des lunettes avec un verre dépoli devant son œil gauche », une anecdote récurrente assimilable à une tare qui installe très tôt cet homme hors de la normalité.
 
« Une ascension » dépeint la lente descente aux enfers de Willem Verhulst, un individu qui réunit sous une seule identité tous les attributs d’un médiocre, d’un affabulateur pour qui le mensonge comme la vérité ne sont que des figures de style qui émaillent indistinctement le discours qu’il tient à son épouse, à ses enfants, à ses juges. 
 
Au cœur de celong roman-enquête, une maison du vieux Gand où domine la personnalité de Mientje, une « mère fantastique », dira sa fille Letta. Cette maison humide où « flotte une odeur de puisard [...] une odeur aigre d’eau saumâtre » fera dire au notaire qui accompagne le narrateur dans sa visite des lieux – en vue d’un achat – que « les gens qui vivaient ici rêvaient d’une vie meilleure ».
 
Dans ce récit qui oscille constamment entre des faits d’Histoire et la fictionnalisation de ces mêmes faits, la maison en question est une sorte de nébuleuse trouble où Willem revient constamment, même si une décision de justice d’après-guerre le lui interdit. Comme si une fois en cette maison, qui l’a accueilli au cours de ses années de bravade nazie, surgissait constamment ce qu’il n’aurait jamais réussi à effacer. Cette sorte de lieu que le philosophe Gaston Bachelard désignait comme des maisons du souvenir qui sont « en nous impérissables ».
 
La mémoire des lieux

Nathalie Heinich, qui n’aime pas « jeter le passé aux oubliettes », glisse à l’oreille de ses lecteurs que les maisons où nous avons vécu « continuent à nous habiter, même lorsque nous avons cessé, nous, de les habiter ». 
 
Ces demeures que cette sociologue a fréquentées – et perdues pour n’en pas avoir été propriétaire – sont « celles sans lesquelles [elle ne serait] pas la personne et l’auteur [qu’elle est] ». Au fond, « autant nous avons de maisons dans nos vies, autant ou presque autant en portons-nous le deuil, au plus intime de nous-même ». Ce sont pour ainsi dire « des souvenirs sensoriels et émotionnels, mais aussi des formes qui ont contribué à dessiner nos vies ». 
 
Dix de perdues ...

Le ressouvenir d’une dizaine d’entre elles dans « Maisons perdues » [2] conduit d’ailleurs Nathalie Heinich à un triste constat : « Dans aucune de mes maisons perdues je n’ai pu faire ce qu’on associe toujours avec l’idée d’une maison : s’y entourer d’amis – puisque aucune de ces maisons ne fut mienne . »
 
À tout cela fait écho le sentiment trouble d’un abandon. Si tant est qu’il peut nous être difficile de trancher : est-ce le temps qui nous fait quitter des lieux ou est-ce nous qui quittons des espaces où il n’est plus temps de vivre ?
 
... une de retrouvée

Dans « La Maison qui soigne » [3] – qui est le récit de cette maison baptisée La Retrouvée dont elle est devenue propriétaire –, Nathalie Heinich s’interroge : « Est-ce la dernière de mes maisons perdues » ? Signifiant par-là que celle-là pourrait un jour rejoindre à son tour les autres maisons où elle a habité, qui toutes n’ont été « que des lieux de passage ». Associant cette incessante mobilité à une sorte d’atavisme qu’elle explique ainsi : « Après tout, chez les Juifs, on investit peu dans l’immobilier : il faut pouvoir s’en aller, très vite, à tout moment. Aux maisons, on préfère les bijoux ». 
 
Les lieux multiples

Et puis il y a ces maisons qu’on appelle « immeubles », des lieux pleins d’histoires et de tragédies multiples. Tel celui du 209, rue Saint-Maur, Paris Xe, [4]où ont vécu des générations d’enfants, d’artisans et d’ouvriers. « Tout ce petit monde, naturellement locataire [vivant] dans une seule pièce. Plus rarement deux »et dont la disparition temporaire ou définitive – le départ vers l’Est, disait-on à l’époque de la rafle du Vel D’Hiv, – s’inscrit ici aussi dans l’Histoire.
 
Une fois franchie le seuil de l’endroit, Ruth Zylberman va plonger au cœur du Yiddishland parisien d’avant-guerre. Là logeaient les Baum, Blumenthal, Goura, Hassman, Szpajzer. Mais aussi l’ouvrier boulanger Pierre Menacé et la concierge madame Massacré. 
 
Investir cet immeuble qui n’a de remarquable que le destin de ceux qui y ont vécu vaudra à Ruth Zylberman d’entrevoir un univers hors du commun : « J’avais la sensation d’avoir, en la poussant de toutes mes forces, entrouvert la porte bleue du temps et que par ce léger entrebâillement se faufilaient des fantômes bien vivants ».
 
Lieu de vie, lieu d’emprunt


Parfois, la destinée de certains lieux de vie bifurque, pris d’assaut par des inconnus qui en occupent l’intérieur et s’accaparent l’identité même de la parentèle qui en avait fait sa maison familiale. Ainsi en est-il de celle d’une famille originaire de l’Ardèche en France qui, au lieu d’échoir à la mort de son dernier occupant à une quelconque nièce, se retrouva entre les mains d’un paysan dont cette dernière ignorait jusqu’alors qu’il était le conjoint de l’oncle en question. 
 
Dès son installation, cet héritier surgi de nulle part s’emparera de l’intimité d’individus liés par le sang et le nom au précédent occupant. Exhibant des photos sous les yeux d’une étrangère venue frappée à sa porte, l’occupant du lieu lui montrera celles de « son » arrière-arrière-grand-mère et de « sa » cousine – la dépossédée in extremis du bien familial. Allant jusqu’à proclamer, en présentant un dernier cliché, que voici un « petit cousin [que] je ne […] vois jamais […] mais il est dans le cinéma ». Ce qui fait dire au scénariste des Tavernier, Clément, Autant-Lara, Verneuil, Delannoy – le bien nommé Jean Aurenche – que cet homme « s’était approprié [aussi ma] famille ». [5]
 
Les lieux d’encre

Entrer dans de telles maisons nous enferme à coup sûr dans des mondes dont on ne sort jamais tout à fait. Ainsi cette « Maison japonaise et la neige » [6], au sortir de laquelle je me suis constitué prisonnier de toutes les « Façons d’habiter au Japon » [7], torturé par l’idée qu’elles demeurent à jamais hors de ma portée. Même les glissements du temps n’y peuvent rien : comme tout lecteur, je n’habite qu’en moi  !
 
[1] Une ascension, Stefan Hertmans, Gallimard, Paris, 475 pages.
[2] Maisons perdues, Nathalie Heinich, Thierry Marchaisse, Vincennes, 125 pages.
[3] La Maison qui soigne, Nathalie Heinich, Thierry Marchaisse, Vincennes, 117 pages.
[4] 209 rue Saint-Maur, Paris Xe : autobiographie d’un immeuble, Ruth Zylberman, Seuil, Paris, 448 pages.
[5] La suite à l’écran. Entretiens avec Anne et Alain Riou, Jean Aurenche, Actes Sud, Arles, 273 pages.
[6] La Maison japonaise et la neige, Jacques Pezeu-massabuau, Bulletin de la maison franco-japonaise, T. VIII, No1, Tokyo, 232 pages.
[7] Façons d’habiter au Japon, Phillipe Bonnin et Jacques Pezeu-massabuau, CNRS Éditions, Paris, 400 pages. 
 

Une ascension
Stefan Hertmans
Gallimard
Paris, 475 pages
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Préjugés et préjudices

5/12/2022

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Les chiffres sont plutôt ahurissants: en Suède, un habitant sur cinq — c’est à dire deux des dix millions d’âmes de ce paradis scandinave — vient d’ailleurs. Et un quart des nouveaux-nés ont maintenant au moins un parent « d’origine étrangère ». Ce qui peut laisser place, on le devine, aux préjugés. Même aux préjudices… 
 
Michel Bélair
 
À la fin du siècle dernier, Henning Mankell racontait déjà les changements profonds agitant la société suédoise, comme le monde tout entier, à la suite de l’accroissement des flux migratoires (voir, entre autres, l’admirable Tea Bag). Lancée à la poursuite du «progrès», la Suède — et l’Europe en général — a d’abord voulu favoriser l’arrivée d’une main d’œuvre abordable. 
 
Mais rapidement en l’espace de quelques décennies, le choc des cultures, alimenté par les inégalités économiques et sociales, a presque partout mis à jour de nouvelles zones de conflit. Les changements brusques, de même que le désarroi et la panique devant la différence, font souvent naître les préjugés. Encore plus quand la situation se corse…
 
C’est un peu ce qui se passe dans L’horizon d’une nuit de Camilla Grebe. Le roman se déroule dans une banlieue cossue de Stockholm, au tournant du millénaire, alors qu’une jeune fille disparaît. Tristement, le peu de traces qu’elle a laissés derrière elle laisse croire à un suicide: elle se serait jetée dans la mer du haut d’une falaise, mais on n’a toujours pas trouvé de corps. Évidemment, sa famille est dévastée et c’est par cette porte que nous entrons d’abord dans cette sombre histoire à voix multiples.
 
Des affaires de famille
 
La première partie nous est racontée selon la perspective de Maria, la mère de cette famille que nous découvrons reconstituée. «Baba cool» mature, Maria partage encore les valeurs d’ouverture de son adolescence et sa rencontre avec Samir, son nouveau mari, a littéralement redonné un sens à sa vie. Le fils de Maria, Vincent, est atteint du syndrome de Down et, contrairement à ce que pourraient laisser croire nos préjugés, Vincent est, vraiment, le rayon de soleil de la maisonnée. 
 
Yasmine Foukara, la disparue, est la fille de Samir. Son père, chercheur en oncologie d’origine maghrébine, a émigré en Suède avec elle depuis la France après un grave accident d’auto dans lequel il a perdu sa femme et son autre fille. Même si la relation père-fille est souvent tendue, la nouvelle famille Foukara incarne le type même du «nouveau départ» et elle a déjà quelques années derrière elle quand le drame survient.
 
C’est Maria donc qui nous raconte d’abord ce qui s’est passé. Bien vite on prend conscience de son amour inconditionnel pour Vincent et sa passion pour Samir, un homme bon, cultivé, doux et aimant. Sa nouvelle famille représente tout pour elle. 
 
C’est aussi par Maria qu’on apprend à quel point Yasmine est une adolescente tourmentée et volage qui risque de blesser le frêle Tom, son «chum», un garçon que Maria connaît fort bien puisqu’elle l’a «gardé» souvent depuis sa toute petite enfance. En surface, tous les éléments et les personnages du drame sont déjà là, sauf le plus important: les policiers chargés de l’enquête ne croient pas à la thèse du suicide. 
 
Ils cherchent plutôt du côté du père, Samir. Ils ont recueilli des témoignages dont celui d’une promeneuse affirmant avoir vu deux ombres près de la falaise; quelques vêtements aussi et des traces de sang appartenant à Yasmine et prouvant qu’elle s’est débattue. 
 
Même si Samir n’est pas musulman pratiquant, les policiers saisissent un exemplaire du Coran trouvé dans sa bibliothèque. Ils identifient aussi des images floues sur les caméras de surveillance d’une décharge; elles montrent un homme dont la silhouette est conforme à celle de Samir se débarrassant d’un sac… qu’on n’a pas retrouvé. 
 
À partir de ces éléments, les deux enquêteurs sont convaincus d’avoir trouvé le coupable, décident d’arrêter Samir et l’accusent d’un «crime d’honneur». Maria n’y croit pas, proteste et rage de voir Samir en détention préventive avant son procès… mais le doute s’installe peu à peu. Elle n’est pas raciste comme sa mère — qui lui parle du «poids de la culture» — et certains amis, mais n’empêche qu’elle doute de plus en plus. De plus en plus souvent. Même quand le procès avorte et que Samir est libéré faute de preuves.
 
À partir de ce moment, quelques lourds préjugés vont causer d’irrémédiables préjudices.
 
Des voix autres
 
On ne vous en dira pas plus sur la série de rebondissements qui suit la libération de Samir sauf que la «nouvelle famille» éclate. Et comme pour mieux nous faire saisir l’ampleur de la débandade, de nouveaux narrateurs prennent la parole.
 
C’est Vincent qui amorce l’exercice. Vincent qui nous fait saisir la dimension cataclysmique de ce qui lui tombe dessus, lui qui aimait profondément Yasmine, sa meilleure amie, et papa Samir. Lui qui a tout entendu, tout vu ou presque et qui prend la décision de ne plus jamais parler à personne, quoi qu’il arrive. 
 
Cette section du roman implique un changement de ton remarquable dans l’écriture. Camilla Grebe parvient à rendre de façon crédible le monde plutôt simple et sans beaucoup de nuances dans lequel vit Vincent dans des phrases limpides et claires au vocabulaire précis.
 
Mais Vincent ne sera pas le seul à prendre la parole. Yasmine, par exemple, viendra raconter sa version de la «réalité suédoise» et Maria elle-même reprendra le récit plusieurs années plus tard… après qu’on ait eu droit à la tranche de vie de l’un des flics chargés de l’enquête. 
 
De tout cela ressort, à travers le témoignage d’une impressionnante galerie de personnages «authentiques», un effroyable cafouillage à peine tempéré par un océan de bonnes intentions vite asséché. Heureusement, malgré la confusion et le passage des années, tout cela permettra de mettre la main sur un homme violent et dangereux.
 
L’horizon d’une nuit est déjà le cinquième roman de Camilla Grebe. Et sans doute, son plus réussi.
 

L’horizon d’une nuit
Camilla Grebe
Traduit du suédois par Anna Postel
Calmann-Lévy — Noir
Paris 2022, 448 pages
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