À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : Société

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Le moins que l’on puisse dire est qu’Amazon ne fait pas dans le détail, et encore moins dans la dentelle. On en douterait qu’il suffirait de souligner les actions menées plus tôt cette année et qui mettent en lumière, comme jamais auparavant, un plan d’affaires se résumant en un mot : foncer ! On ajoutera : à la hussarde !

L’objectif à moyen terme ? Être numéro 1 dans la diffusion en continu de films, de séries télé, et dans la retransmission de certains événements sportifs. En d’autres mots, on souhaite dépasser Netflix, Comcast, Viacom et consorts.
 
Bizarrement, les actions évoquées plus haut sont passées pratiquement inaperçues de ce côté-ci de la frontière, alors qu’elles annoncent un profond bouleversement du paysage audiovisuel au cours des cinq prochaines années. Clarifions.
 
Entre le 26 mai et le 20 juin, Amazon, dont la capitalisation boursière totalise 1640 milliards $US, a fait l’acquisition, dans l’ordre, du studio MGM, des droits télévisés des matchs du Tournoi de Roland-Garros, puis des matchs de soccer du Championnat de France. En tout, l’entreprise fondée par Jeff Bezos a déboursé 8,75 milliards $US.
 
Au passage, on retiendra que, pour effectuer d’autres acquisitions dans les secteurs d’activités que l’on devine, cette société s’est dotée d’un trésor de guerre énorme : 71 milliards $US. On insiste : cette somme ne servira pas à payer des dividendes ou des primes ; elle sera utilisée par la compagnie pour se hisser à la position qui est la sienne dans le commerce en ligne, c’est-à-dire la première !
 
À cet égard, l’épisode MGM est éloquent. C’est bien simple, pour être certain que ni Apple ni Comcast, propriétaire notamment de NBCUniversal, ne mettraient la main sur le studio qu’elles convoitaient elles aussi, Amazon a convenu d’allouer une prime équivalant à près de 50 % de la valeur boursière de MGM. Celle-ci était évaluée à 6 milliards $US environ? Bezos a ajouté 2,45 milliards. C’est dire combien la volonté de notre homme se confond avec celle de fer.
 
Les franchises !
De prime abord, on pourrait croire que l’intérêt de ce dernier résidait notamment dans le fait que MGM fut le producteur des très grands succès que furent et demeurent Singin’ in the RainThe Wizard of Ozet Gone With the Wind. Ceux-ci ayant été vendus à Warner Brothers il y a des années de cela, c’est donc autre chose qui intéressait Bezos, soit… les franchises !
 
En mettant la main sur le vaste catalogue de MGM, Amazon s’approprie 50 % des droits de propriété des James Bond, le reste étant détenu par les héritiers d’Albert Broccoli, le producteur original, mais aussi les droits des Rocky, des Robocop, des Pink Panther, des Tomb Raider avec ses versions vidéo, de Thelma and Louise, de The Silence of the Lambs, de Basic Instinct, etc. Et d’une.
 
Et de deux, en faisant l’acquisition de MGM, Amazon s’est dotée illico d’une force de frappe lui permettant de concurrencer avec plus de force ceux qui avaient commencé à relever la tête dans la foulée de la déferlante Netflix. Qui sont-ils? Disney+, Paramount+, qui est en fait une filiale de l’énorme conglomérat ViacomCBS, HBO Max, filiale de WarnerMedia, et Apple TV+. Au cours des quatre dernières années, ces acteurs pesants des industries culturelles se sont lancés dans la diffusion continue, ou streaming, avec plus de conviction, si l’on peut dire, qu’auparavant.
 
Des commentaires formulés par Bezos lors de cette acquisition, on retient qu’il est écrit dans le ciel qu’Amazon va s’employer à produire des suites, notamment, aux séries télé dont elle vient d’hériter. On pense à Vikings, à The Handmaid’s Taleet àFargo, entre autres.
 
Le patron d’Amazon avait alors souligné que la propriété intellectuelle détenue par MGM serait exploitée beaucoup plus intensivement qu’au cours des vingt dernières années, cette entreprise ayant été dirigée par des incompétents. Non seulement cette dernière n’était pas montée dans le train des DVD dans les années 1980, elle a aussi raté celui d’Internet avec ses mille et une possibilités.
 
Au diapason
Financièrement parlant, les deux autres transactions d’Amazon ne sont évidemment pas au diapason de celle fait à l’encontre de MGM. Pour Roland-Garros, selon ce qui a transpiré, la société de Seattle a déboursé 30 millions environ. Et elle a payé 300 millions pour diffuser une saison du Championnat de France de football.
 
Ce faisant, elle est en train de faire le plein d’abonnés à Prime Video en France et ailleurs en Europe, et même en Amérique du Sud. Car Amazon a bénéficié d’une divine surprise dans le courant de l’été, soit après son entente avec les patrons de la Ligue 1, et qui se résume à un nom propre : Lionel Messi.
 
Le transfert du FC Barcelone au Paris Saint-Germain de celui qui reste le joueur de foot le plus adulé du monde entier a eu pour conséquence une hausse aussi inattendue que prononcée du nombre d’abonnés à la filiale européenne d’Amazon Prime Video et, en corollaire, une diminution du nombre d’abonnés de ses concurrents. On pense surtout aux télédiffuseurs espagnols et sud-américains.
 
Dans le cas de Canal+ et de beIN Sports, propriété du Qatar, mettons que l’épisode Messi a couronné le tout. Car non seulement ils ont perdu les droits qu’ils détenaient sur la retransmission de la Ligue 1, ils ont aussi perdu des abonnés en raison de Messi, mais également en raison de l’offre télé et cinéma attrayante de Prime Video. Bien.
 
Au cours du premier semestre de la présente année, le nombre d’abonnés à Amazon Prime Video a dépassé les 175 millions. Quoi d’autre? Le nombre d’heures consacrées à la consommation de films et de séries télé a augmenté de 70 % ! Ce faisant, les habitudes des spectateurs étant toutes enregistrées, quantifiées, elles nourrissent la banque de données — les fameux data— d’Amazon.
 
À ce propos, un autre chiffre est passé totalement inaperçu alors qu’il commandait pourtant une attention particulière, tellement il se fond dans l’énorme. Au cours du dernier exercice financier d’Amazon, la gestion des banques de données, soit la gestion des informations archivées, a totalisé 62 % du chiffre d’affaires de la compagnie. Bonté divine : 62 % !
 
Il est plus que probable que cette nouvelle offensive d’Amazon va provoquer de sacrées migraines au sein des câblodistributeurs, des télédiffuseurs et d’autres acteurs canadiens de ces milieux. Et ce, pour quelques années.

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