À propos de l'auteur : Claude Lévesque

Catégories : International

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Claude Lévesque

Les manoeuvres visant à restreindre le droit de vote ou à fausser les prochains résultats électoraux se font nombreuses aux États-Unis. Il faut y voir un phénomène cyclique mais aussi l’expression d’une conjoncture très particulière.

De quel cycle parlons-nous ? De celui qui commence, tous les dix ans, avec la sortie des résultats du recensement. Nous y sommes depuis quelques mois. Certains États ont vu leur population croitre, ce qui peut leur donner droit à un ou à plusieurs sièges supplémentaires à la Chambre des représentants à Washington, tandis que d’autres ont vu leur population stagner.

Comme le nombre de représentants à la Chambre basse du Congrès demeure fixe, à 435, il y a des gagnants et des perdants. Mais le problème n’est pas vraiment là. Il se trouve plutôt dans le redécoupage de la carte électorale que le recensement occasionne. Le pouvoir de changer le tracé des frontières entre les circonscriptions incombe à chaque État fédéré, même pour les élections fédérales. Dans les meilleurs cas, on respecte le principe du « un citoyen un vote », mais dans la réalité on assiste souvent à un exercice partisan, parfois teinté de racisme. C’est le « gerrymandering ».

Et qu’en est-il du phénomène conjoncturel ? Il a plusieurs noms mais on peut se simplifier la tâche en lui attribuant un prénom et un nom que tout le monde connait: Donald Trump.

Le magnat de l’immobilier n’a jamais admis sa défaite aux élections de 2020 et des dizaines de millions d’Américains sont prêts à croire qu’il les a remportées et qu’on lui a volé sa victoire. Il conserve un tel ascendant sur le Parti républicain que de nombreux politiciens affiliés au Grand Old Party (GOP) font semblant de le croire, soit parce qu’ils ont peur des enragés de la secte « trumpiste », soit parce qu’ils sont au fond favorables aux idées du « gourou ».

Le tripotage des cartes électorales n’a pas d’influence directe sur l’élection présidentielle, mais il en a beaucoup sur celles qui visent à pourvoir les sièges dans les assemblées des États fédérés. Or ce sont ces représentants locaux, lesquels seront élus lors des élections de mi-mandat plus tard cette année, qui établiront dans leurs assemblées respectives les règles du jeu pour la présidentielle de 2024.

Un beau cas de « gerrymandering » 

L’an dernier, de nombreux électeurs d’un district électoral de Georgie, cet important État du Sud, ont vu l’importance de leurs bulletins de vote réduite. Le Southern Poverty Law Centrer, un groupe d’activistes voués à l’élimination de la ségrégation raciale fondé en 1971, a réagi en déposant, conjointement avec d’autres organismes, une poursuite qui vise à faire annuler un cas de « gerrymandering » qu’il considère comme obéissant à des motivations racistes. Les demandeurs ont invoqué le 14e amendement de la Constitution des États-Unis, qui garantit la représentation égale et le traitement égal devant la loi.

Selon la poursuite, le gouvernement de la Georgie a « fractionné » le 6e district, situé dans la banlieue nord d’Atlanta, et réparti ses électeurs noirs vers trois districts voisins afin de diluer leur influence et, à toutes fins utiles, les empêcher de voter pour les candidats de leur choix. Le 6e district a longtemps été représenté par des républicains, dont Newt Gingrich, mais sa population d’allégeance démocrate a cru ces dernières années, si bien que c’est une démocrate, Lucy McBath, qui est en poste depuis 2020.

Le tripotage des cartes électorales est un vieux fléau aux États-Unis, mais également dans d’autres pays. Chez nos voisins du Sud, il a été pratiqué aussi bien par les démocrates que par les républicains.

Nombreuses combines

Le « gerrymandering » n’est qu’une des nombreuses pratiques douteuses qui visent à compliquer le fait de voter pour certains groupes, dont les Noirs et les autres  minorités visibles, les étudiants, les pauvres et les personnes handicapées. Ce sont des clientèles qui votent plus volontiers pour le Parti démocrate que pour le Parti républicain.

Voici quelques-unes des pratiques que les défenseurs de la démocratie dénoncent le plus souvent aux États-Unis : radiations d’électeurs des listes électorales pour de faux motifs, obligation de présenter le genre de carte d’identité que des électeurs pauvres ou racisés possèdent rarement, difficultés faites aux électeurs qui reçoivent et renvoient leurs bulletins de vote par la poste, ouverture des bureaux de scrutin pendant des périodes trop courtes, bureaux trop peu nombreux dans certains quartiers, etc.

Tout cela équivaut, pour citer le site Internet du Brennan Center for Justice[i], à « une mort survenant à la suite de mille coupures ». Le quart des Afro-Américains en âge de voter ne disposeraient pas d’une carte d’identité avec photo délivrée par une agence gouvernementale, selon l’American Civil Liberties Union (ACLU, Union américaine des libertés civiles).

L’ACLU signale sur son site Internet que la Georgie (encore elle!) a adopté une loi qui interdit à quiconque, sous peine de poursuites criminelles,  d’offrir de l’eau ou de la nourriture aux électeurs qui patientent dans les files d’attente, souvent très longues dans les secteurs où les Noirs sont nombreux.

Les prisonniers perdent leur droit de vote dans la plupart des États américains. Ce droit n’est pas restitué partout quand la sentence arrive à échéance. Cette politique affecte particulièrement les Noirs et les membres d’autres minorités visibles parce qu’ils sont souvent condamnés à des peines plus lourdes que les Blancs. Selon l’ACLU, une personne noire sur 17 est empêchée de voter en raison de ce genre de loi.

L’ACLU, de même que le Southern Poverty Law Center, ont contesté avec succès, devant les tribunaux, plusieurs tentatives de priver des citoyens de leur droit de vote au cours des dernières années.

Texas, Arizona et Georgie en tête

On ne s’entend pas exactement sur le décompte des pratiques douteuses parce le redécoupage de la carte électorale, la confection des listes d’électeurs ou les vérifications le jour du vote ne sont pas discriminatoires en soi. Le diable est dans les détails, comme on dit. Il n’en reste pas moins que la plupart des observateurs et des organisations militantes s’entendent sur l’ordre de grandeur.

Le quotidien britannique The Guardian, citant plusieurs organisations non gouvernementales, estimait en décembre 2021 que pas moins de 262 projets de loi visant à changer les règles du jeu lors d’élections ont été déposés devant les assemblées de 41 États américains au cours de l’année. 32 de ces projets auraient été adoptés, dans 31 États. Trois États dirigés par le Parti républicain se distinguaient à ce chapitre. Ce sont le Texas avec 59 projets de loi, l’Arizona (20) et la Georgie (15).

L’ACLU indique sur son site Internet qu’ « au cours des dernières années », dans 48 États, plus de 400 projets de loi visant à limiter le droit de vote ont été déposés devant les assemblées législatives. Ils n’ont pas tous été adoptés, tant s’en faut.

Rejeter le verdict des urnes

Dans certains États, des politiciens ou aspirants politiciens fidèles à Donald Trump (qui croient ou qui font semblant de croire qu’il a remporté la présidentielle de 2020) briguent des sièges de secrétaire d’État ou de procureur général. Ils se disent prêts à refuser de certifier le résultat de la présidentielle de 2024 dans leur État si les circonstances ressemblent à celles de 2020. Certains élus locaux prétendent par ailleurs que la Constitution américaine permet au Sénat ou à la Chambre des représentants d’un État fédéré de rejeter le verdict des urnes, ce qui paraît assez douteux. Des projets de loi allant dans ce sens ont été présentés dans sept États récemment. Aucun n’a été adopté.

On ne sait pas encore si Donald Trump pense sérieusement se présenter à la présidentielle en 2024. Ou s’il a mis sur pied un « Political Action Committee » dans le but à d’autres fins d’utiliser les fonds recueillis. Ce qu’on ne sait que trop bien, par contre, c’est que, voyant qu’il avait perdu, le 45e président a multiplié les tentatives de s’accrocher au pouvoir, y compris en faisant pression sur les secrétaires d’État et les procureurs généraux des États. Ces derniers n’ont pas obtempéré et ont certifié les décomptes effectués. C’est dans ce contexte qu’il faut voir la présence aujourd’hui de candidats inquiétants pour ces postes clés.

Que le Donald songe ou pas à un retour en politique, le GOP a besoin de sa « base ».  Il en a besoin, dès cette année, pour reconquérir les deux chambres du Congrès. Or ces appuis ne suffiront probablement pas, même si la cote de Joe Biden et des démocrates en a pris pour son rhume. Il lui faut aussi recourir aux bonnes vieilles méthodes qui consistent à supprimer une partie des votes sur lesquels les démocrates peuvent normalement compter.

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