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La peau d'Horacio Arruda

1/13/2022

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Dominique Lapointe
 
Disgracieuse, l’anecdote aurait pu être oubliée. Une journaliste de Cogeco demande au premier ministre Legault si, après les critiques « d’analystes », le directeur national de la santé publique du Québec (DNSP) est toujours l’homme de la situation. Devant tout le Québec à l’écoute, et surtout aux cotés du principal intéressé, la sèche réponse de François Legault, visiblement agacé par la question, est sans équivoque, « oui ! ».
 
La question est d’autant plus tendancieuse qu’elle ne pourrait jamais mener à une autre réponse dans un contexte comme celui du 30 décembre, une de ces journées solennelles où le gouvernement annonce de nouvelles mesures de mitigation de la pandémie, des mesures qui, normalement, tirent leur essence même des avis de la santé publique, personnifiée par le Dr Arruda.
 
Devant l’insistance de la journaliste, le premier ministre rappellera finalement la nature du travail fait depuis presque deux ans, soit naviguer dans une incertitude constante : « ... y’a rien de noir ou blanc... on a de bons avis, de bonnes discussions avec le Dr Arruda, avec les deux instituts qu’on rencontre une fois par semaine, je pense qu’on a toute l’expertise nécessaire pour prendre les meilleures décisions... l’important c’est de prendre des décisions rapidement ».
 
Les experts improvisés
 
Cet évènement médiatique emboîtait le pas à un article d’opinion publié par un journaliste indépendant, Patrick Déry, qui, deux jours plus tôt, prônait pour une nième fois un changement de garde à la santé publique. 
 
Ce jour-là cependant, celui qui se présente comme un spécialiste en politiques publiques non partisan, ajoutait au Dr Arruda une liste de têtes qu’il fallait couper chez les conseillers du gouvernement, dont les Dr Marie-France Raynault, Gaston De Serres, Caroline Quach. 
 
Patrick Déry n’est pas un cas exceptionnel. Cet auteur et bien d’autres seront des habitués des sections opinions de quelques médias, et deviendront de facto les « experts indépendants » de la pandémie de COVID 19. À l’occasion, ils recruteront des signataires pour des lettres d’opinion dans les journaux, des pétitions brandies par des chroniqueurs comme paroles de laboratoire.  
 
Outre des journalistes, on trouve dans ce lot de commentateurs des universitaires de différents horizons qui n’ont pas d’expertise en santé publique et encore moins en gestion de crise. Des experts autoproclamés qui, dès le début de la crise en 2020, ont pris le parti de démontrer que les autorités « étaient dans le champ » plutôt que de tenter d’abord de comprendre les décisions des autorités.
 
Faire ses recherches
 
On a souvent tourné en dérision les complotistes qui, pour étayer leur théories à l’emporte-pièce, font leur recherche sur YouTube et autres médias sociaux à crédibilité variable. L’effort déployé par ceux-ci pour appuyer leurs propos peut toutefois être impressionnant et paraître parfaitement structuré pour qui est acheteur de ces inepties.  
 
Dans un tout autre registre de contenus, le travail des gérants d’estrade est tout aussi troublant, passionné et minutieux, certains produisant même leurs propres analyses, calculs, graphes et courbes à l’appui. Un travail de moine qu’on se partage sur des plateformes internet dédiés à la cause et d’une prétention inouïe.
 
Par ailleurs, on y retrouve nombre d’articles scientifiques glanés sur le web, de sources crédibles, souvent des nouveautés (prépublications qui demandent à être révisées) d’un intérêt certain, mais qui servent davantage d’arguments pour discréditer les choix de la santé publique et du gouvernement que pour expliquer le développement des connaissances d’une science en constante évolution.
 
Et c’est précisément ici que le problème devient délicat.
 
Trop de science c’est comme pas assez
 
Slogan de la pandémie, la science est devenue un argument incontestable de tout débat sur le bien fondé des mesures sanitaires. On ne saurait d’ailleurs museler tout débat sur ces questions fondamentales. 
 
Mais qu’arrive-t-il quand il n’y a pas de science, ou pas encore suffisamment de recherche sur laquelle s’appuyer et, comme disait le premier ministre du Québec, quand il faut quand même agir rapidement (ou ne pas agir, comme on le verra) ?
 
Une hypothèse, si séduisante soit-elle,  ne fait pas de la science. Tout comme une étude, deux ou même trois. La science se construit sur des consensus et, en situation de crise, les décisions à prendre précèdent très souvent ces consensus.
 
Nombre d’observateurs, journalistes ou analystes, ont conclu à répétition que les autorités erraient en ne prenant pas en compte telle publication scientifique ou telle opinion d’expert. 
 
Le problème c’est qu’on ne peut pas aligner une population de huit millions de personnes sur la foi d’une hypothèse, d’une seule étude ou d’une opinion. La gestion des attitudes et comportements de populations entières n’est pas qu’affaire de données probantes. 
 
La question des masques est un exemple éloquent de cette complexité. Aux origines de l’asepsie chirurgicale au tournant du 20e siècle,  le masque, comme les gants, fut adopté pour protéger le champ opératoire, les plateaux de chirurgie et les mains du personnel de leurs propres exhalations. 
 
Le masque de procédure est toujours considéré comme un écran, et non un filtre, qui protège le patient. Pour la COVID, une barrière d’une efficacité limitée pour le porteur. 
 
Qu’à cela ne tienne, on reprochera au Dr Arruda de ne pas avoir recommandé son utilisation dès le début de la pandémie alors que du personnel hospitalier et même de simples quidams en volaient dans les hôpitaux. 
 
Imaginons le message en mars 2020 : « On vous recommande de porter un masque qui est introuvable, qui vous protègera sans doute peu, mais qui sera très utile pour les autres si jamais vous contractez la maladie .» 
 
Quelques mois plus tard, lorsque le masque deviendra la norme dans les espaces publics, il sera le symbole de l’oppression gouvernementale chez les complotistes et résistants à toutes mesures sanitaires. 
 
Loin d’une erreur, aurait-on plutôt évité une catastrophe de non adhésion en début de pandémie, au moment du grand confinement ?
 
Savoir et pouvoir
 
Un Noël à 25, 20 ou 10 personnes, ce qui aura finalement raison de la persévérance du Dr Arruda c’est sans doute cette volonté de ne pas affronter ouvertement le gouvernement sur des objectifs politiques qui défiaient la raison scientifique. Mais cette accointance entre le DNSP et le premier ministre a-t-elle desservi  la gestion de la pandémie ou, au contraire, permis de faire passer les messages ?
 
L’exemple de la France à ce chapitre est intéressant. Le Conseil scientifique COVID-19, composé d’experts indépendants chargés de conseiller le gouvernement, s’est souvent retrouvé publiquement en porte-à-faux avec les décisions présidentielles, donnant plus l’impression d’un contre-savoir que d’une base scientifique aux décrets sanitaires. 
 
Avec ses rassemblements politiques denses, sans masques et distanciation physique dans le cadre de la présidentielle, il est difficile de présenter la France comme un exemple d’adhésion aux mesures barrières, même si, comme ici, une vaste majorité de citoyens ont fait d’énormes sacrifices sur l’autel de la pandémie.  
 
Alors que les gérants d’estrade fantasmaient sur un Horacio Arruda empereur autocrate du savoir COVID 19, celui-ci était plutôt le porte-parole d’un collège rapproché de spécialistes en santé publique, souvent chercheurs et enseignants. 
 
Tout ce beau monde était constamment branché sur l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS, à l’origine le Conseil du médicament et l’Agence des technologies de santé) où des dizaines de spécialistes de toutes disciplines produisent des revues de littérature scientifique, des sondages, des bilans, des projections, dans le but d’éclairer les décisions politiques. 
 
Dans les années 80-90, ces organismes ont précisément été créés pour regrouper et générer les connaissances de plusieurs laboratoires et centres de recherche en toute indépendance du pouvoir politique. Par leur lien permanent avec la fonction publique, on voulait assurer une cohérence dans le temps et surtout une pérennité de l’expertise en la matière, ce que des comités ad hoc ne peuvent faire. 
 
Si l’usure pandémique a eu raison de son directeur national de la santé publique, espérons qu’elle ne  provoquera pas l’explosion d’un système qui, dans ses plus belles années, était porté en exemple à l’étranger comme un des plus avant-gardistes dans le domaine. C’était avant que des gouvernements successifs, de toute allégeance politique d’ailleurs, ne sabrent dans son financement. 
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