À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Québec

Partagez cet article

Valérian Mazataud
Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ).


À l’approche de l’élection québécoise, le PLQ a moins d’appuis dans les sondages qu’il n’en a récolté dans ses deux plus grandes défaites en plus d’un siècle et demi. Sous ses deux derniers premiers ministres, Jean Charest en 2007 et Philippe Couillard en 2018. Pente glissante.

Jean Dussault

« Maîtres chez nous », le slogan libéral de 1960, a entraîné une adhésion générale chez les Canadiens français, sans que quiconque ne sache ce que la formulation accrocheuse voulait vraiment dire.

Être libéral au début des années 1960, c’était être progressiste par défaut, par opposition à l’Union nationale ; c’était être nationaliste parce que partisan de la construction d’une structure étatique au service de la majorité francophone du Québec.

Il y a soixante ans, le Parti libéral du Québec aurait sans doute récolté le vote des péquistes et même de beaucoup des solidaires d’aujourd’hui. Des caquistes/nationalistes auraient aussi été tentés, quoique plusieurs seraient restés fidèles à l’Union nationale plus conservatrice. Les partisans plus conservateurs du nouveau PCQ n’auraient sans doute pas voté PLQ.

Souvenirs, souvenirs

Selon les versions, le PLQ a alors été le guide génial d’un éveil collectif ou, au minimum, l’accompagnateur chronologiquement accidentel d’une démarche qui s’est accélérée au Québec en même temps qu’ailleurs en Occident.

Dans une ou l’autre de ces interprétations, les libéraux de Jean Lesage semaient la graine d’un État québécois. « L’équipe du tonnerre » portait l’espoir d’une nation encore innommée. Le choix entre Canadien français et Québécois n’avait pas encore été fait, mais l’élection marquait tout autant une affirmation francophone en Amérique que provinciale au Canada. Ou l’inverse.

Le balancier linguistique

Avant que la « question nationale » ne devienne le principal enjeu électoral, les conservateurs votaient comme des conservateurs et les libéraux votaient comme des libéraux.

La question du pays a changé la donne

Des Anglo-Québécois progressistes ont alors voté pour le moins progressiste des deux principaux partis parce qu’il était fédéraliste ; des Franco-Québécois conservateurs ont voté pour le moins conservateur des deux principaux partis parce qu’il était souverainiste.

Aucun groupe sociologique, au Québec ou ailleurs, n’est monolithique. Reste que le partage linguistique franco/non franco existait déjà dans l’électorat québécois bien avant que quiconque, connu ou pas, ne parle de vote ethnique.

La loi 22

Les libéraux doivent leur défaite de 1976 entre autres à la première manifestation de ce clivage linguistique : des Anglo-Québécois frustrés/offensés par la loi libérale de 1974 qui déclarait le français langue officielle ont voté Union nationale. Le PQ a alors formé un gouvernement largement majoritaire avec à peine 40 % des voix exprimées.

Parti Égalité/Equality Party

En 1988, le gouvernement Bourassa a imposé l’affichage unilingue francophone, un affront innommable chez des anglophones outrés au point de fonder le PE/EP qui a prôné l’abolition de la loi 101 et la reconnaissance du bilinguisme au Québec.(1)

Le 25 septembre 1989, ce petit parti a fait élire quatre députés dans des circonscriptions très majoritairement anglophones. Six ans avant que quelqu’un de très connu ne parle de votes ethniques …

Et le temps passa

Chez les militants libéraux provinciaux d’aujourd’hui, le slogan envoûtant de 1960 serait proscrit à cause du « chez nous » qu’ils qualifieront d’exclusif. Il se trouverait sans doute aussi dans un recoin d’une quelconque instance du PLQ un trouillard pour prétendre que le terme « maître » est à proscrire puisqu’il rappelle douloureusement la période honteuse de l’esclavage.

La langue pendue

Frustrés et étonnés d’avoir échoué à remporter un deuxième mandat majoritaire à l’élection du 26 mars 2007, presque une habitude au Québec, les penseurs du PLQ ont conclu que leur parti devait se rapprocher de la majorité francophone qui avait selon eux délaissé les libéraux.

Pour flirter avec « les francophones », la direction du PLQ a soumis à son Conseil général tenu à Montréal après la quasi défaite de 2007, la proposition de mettre sur pied un groupe de travail sur l’identité québécoise. Rien de très révolutionnaire, tranquille ou pas …

À la queue leu leu, des militants.tes se sont présentés.es au micro dans un hôtel montréalais pour dénoncer la dérive proposée : les discussions sur l’identité québécoise appartenaient à l’ADQ et au PQ, pas au PLQ.(2)

La base du Parti libéral du Québec a alors statué que l’identité québécoise est le Voldemort de la politique québécoise : la réalité dont on ne doit pas prononcer le nom.

Toujours plus bas

Moins du quart des votes exprimés le premier octobre 2018 l’ont été en faveur du Parti libéral du Québec. Clairement, il n’y a pas que des francophones qui ont alors largué le PLQ. Pour les férus des « vraies affaires » chères au premier ministre sortant, le compte est de quarante-deux élections sur cent cinquante-et-un ans, 42 élections sur 151 ans, où le PLQ avait eu un meilleur résultat que sous Philippe Couillard.

Pourtant, comme ils l’avaient fait au lendemain de la quasi-défaite de 2007, les libéraux ont attribué leur cinglante défaite de 2018 au désamour des francophones. Au lieu de se demander pourquoi tant de votes leur ont échappé, les libéraux provinciaux ont fait leur analyse en fonction de la langue des électeurs.trices.

Si le lendemain de l’élection de 2018 a ressemblé au lendemain du scrutin de 2007, c’est parce que c’est pareil.

Le résultat

Et si la veille de l’élection de 2022 ressemble à la veille de l’élection de 1989, c’est parce que c’est pareil : des Anglo-Québécois créent maintenant des partis politiques parce qu’ils trouvent que le PLQ ne défend pas suffisamment leur communauté.

Ça s’appelle l’ironie du sort : des leaders proclamés éclairés du Parti libéral du Québec ont conclu que les francophones les ont largués alors que des anglophones se sentent délaissés par « leur » parti.

Jean Charest et Philippe Couillard ont bâti leur carrière sur l’épouvantail de la division fédéraliste/souverainiste, comme si l’unanimité était le signe d’une saine démocratie.
Ils ont pour ce faire transformé en conflit ethno-linguistique le débat politique au Québec. Le résultat de leur stratégie est un fiasco pour les libéraux provinciaux.

Dominique Anglade n’est pas responsable de la débandade de son parti ; elle en est l’héritière.

1-https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/136799/parti-egalite-percee-ras-le-bol-anglo-quebecois-jean-charles-panneton
2-Radio-Canada. Émission Maisonneuve en direct. 17-09-07

Laisser un commentaire