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Afghanistan : le difficile mea culpa

10/13/2021

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                                                                                                                                                                                                      Catherine Saouter

​Daniel Raunet 
​​

D’octobre 2001 à mars 2014, 159 soldats canadiens sont morts en Afghanistan. Même si Stephen Harper a décidé d’arrêter les frais sept ans avant le retrait final des Américains, le retour des talibans au pouvoir est également notre fiasco. Les libéraux puis les conservateurs prétendaient reconstruire l’Afghanistan, mais est-ce vraiment ce pour quoi sont morts ces 159 Canadiens ? 
 
Selon le principe que les ennemis de nos ennemis sont nos amis, dès le lendemain de l’invasion de l’Afghanistan en 2001, les stratèges occidentaux ont mis en place un régime qui acceptait en son sein tous les adversaires des talibans. Y compris des criminels de guerre notoires comme le chef ouzbek Rachid Dostom, des trafiquants de drogue tels Karim Khalili, Arif Noorzai et Ismail Khan, des islamistes wahhabites comme Abdu Rasul Sayyaf, etc.

Pendant vingt ans les avertissements n’ont jamais cessé de la part de féministes afghanes comme l’ex-députée Malalai Joya, de chercheurs, d’organisations humanitaires, de grands journaux occidentaux, mais pour l’essentiel, nos médias s’en sont tenus à la version officielle : nos pays construisaient la démocratie en Afghanistan. 
 
Rien de plus faux, affirme une ancienne responsable américaine de la « reconstruction ». Sarah Chayes, qui a vécu à Kandahar de 2002 à 2009, est une ancienne conseillère spéciale de Mike Mullen, Chef d’état-major des armées des États-Unis de 2007 à 2011. Son verdict est sans appel : « La corruption de l’Afghanistan était made in America », écrit-elle dans la revue Foreign Affairs (3 septembre 2021).

Elle décrit un pays où tout service public était impossible sans versement d’un pot-de-vin, dont une partie remontait jusqu’au sommet du pouvoir. Un pays où des officiels pouvaient créer des unités militaires fictives et empocher les millions de dollars américains destinés au salaire et à l’armement de soldats fantômes.


Cellule d'enquête
Chayes rapporte qu’en 2010 la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF en anglais) et l’ambassade américaine avaient constitué une cellule d’enquête sur la corruption en Afghanistan. La piste remontait jusqu’à la garde rapprochée du président Karzai, la police arrêtant même un de ses principaux collaborateurs, Muhammad Zia Salehi. « Avec un simple coup de fil aux autorités carcérales, Karzai fit relâcher le suspect. Puis il rétrograda tous les procureurs anticorruption, coupant leurs salaires de 80 %, et interdit au ministère américain de la Justice d’intervenir. Pas un mot de protestation ne vint de Washington. » Pour une bonne raison, affirme Chayes, Salehi était l’intermédiaire par lequel la CIA garnissait les coffres du président.
 
Le monde a été surpris de l’absence de résistance à l’offensive talibane de cet été. Dans une entrevue récente sur le blogue de l’écrivaine Marianne Williamson, Chayes offre une explication. « Les Afghans détestaient les talibans, mais ils leur étaient reconnaissants d’avoir expulsé du pays les seigneurs de la guerre. Or qu’avons-nous fait ? Nous nous sommes alliés à ces mêmes seigneurs de la guerre et nous en avons fait les gouverneurs des principales provinces ».

Elle cite le cas du frère du président Karzai, feu Ahmed Wali Karzai, principal trafiquant d’opium de la région de Kandahar, nommé plus tard gouverneur de cette province au nez et à la barbe des militaires canadiens basés dans cette ville. Dénoncé par de grands journaux comme le New York Times, le frère du président est resté intouchable jusqu’à son assassinat par son garde du corps en 2011.
 
Sarah Chayes explique comment, dans ses fonctions officielles, elle et divers fonctionnaires américains luttant contre la corruption ont exposé les turpitudes du régime afghan aux dirigeants des opérations militaires, le général Stanley McChrystal puis le général David Petraeus, pour constater que ces personnalités n’en avaient cure. Chayes en est venue à la conclusion que les travaux d’acteurs comme elle ne servaient que de paravent à Washington pour faire croire que les guerres d’Afghanistan et d’Irak avaient pour but la démocratisation et le progrès.

Du « window dressing », du spectacle pour la galerie. Elle pense désormais que le but réel des conflits de ce genre est de perpétuer des guerres sans fin afin de remplir les poches des marchands de canons, des contracteurs privés et des politiciens membres du complexe militaro-industriel.

Elle cite à cet effet le financement américain de l’armée pakistanaise, 14 milliards de dollars de 2002 à 2018. En retour, cette même armée n’a jamais cessé de financer et d’armer les talibans qui, de leur côté, ont tué 2465 soldats américains. L’Amérique est corrompue, lance-t-elle dans un livre choc, « On corruption in America » (Penguinrandomhouse, 2020). La corruption de l’Afghanistan, soutient-elle, n’est que le miroir de la corruption de l’Amérique.
 

Stratégie de représailles
​Aujourd’hui, Washington réagit au fiasco afghan en invoquant la démocratie, les droits des femmes et les droits humains. Après avoir dépensé 2000 milliards de dollars en Afghanistan en 20 ans, les États-Unis ont coupé les vivres au pays et gelé les 9,5 milliards de dollars de la Banque centrale afghane. Une catastrophe pour les fonctionnaires et les classes moyennes puisque, sous l’ancien régime, 43 % du PIB de l’Afghanistan et 75 % du budget de l’État provenaient de l’aide internationale. Désormais l’administration Biden menace l’Émirat islamique de sanctions.

Quelle que soit l’horreur qu’inspire le régime ressuscité des talibans, cette stratégie des représailles est vouée à l’échec, car d’autres puissances ont déjà pris la place des États-Unis dans la région. La Chine au premier titre, avec ses alliés russes, pakistanais et iraniens.

​Les Chinois, qui construisent autoroute et pipeline vers le port pakistanais de Gwadar, veulent sécuriser leurs nouvelles « routes de la soie » menacées par des insurgés baloutches le long de la frontière afghane. Ils veulent également développer les énormes richesses minières de l’Afghanistan et surtout s’assurer que le nouveau régime n’hébergera pas les djihadistes ouïghours.

Pour ce faire, ils font pression sur Kaboul pour que les chefs de guerre talibans tempèrent leurs ardeurs et acceptent de partager le pouvoir avec d’autres groupes ethniques que les Pachtounes (38 % des Afghans) ainsi qu’avec des personnalités de l’ancien régime. Dont l’ex-président Karzai et son rival tadjik, Abdullah Abdullah qui ont rencontré fin septembre à Kaboul des émissaires chinois, russes et pakistanais. À suivre…
   
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​Sarah Chayes : « La corruption de l'Afghanistan était made in America. »
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