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Préjugés et préjudices

5/12/2022

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Les chiffres sont plutôt ahurissants: en Suède, un habitant sur cinq — c’est à dire deux des dix millions d’âmes de ce paradis scandinave — vient d’ailleurs. Et un quart des nouveaux-nés ont maintenant au moins un parent « d’origine étrangère ». Ce qui peut laisser place, on le devine, aux préjugés. Même aux préjudices… 
 
Michel Bélair
 
À la fin du siècle dernier, Henning Mankell racontait déjà les changements profonds agitant la société suédoise, comme le monde tout entier, à la suite de l’accroissement des flux migratoires (voir, entre autres, l’admirable Tea Bag). Lancée à la poursuite du «progrès», la Suède — et l’Europe en général — a d’abord voulu favoriser l’arrivée d’une main d’œuvre abordable. 
 
Mais rapidement en l’espace de quelques décennies, le choc des cultures, alimenté par les inégalités économiques et sociales, a presque partout mis à jour de nouvelles zones de conflit. Les changements brusques, de même que le désarroi et la panique devant la différence, font souvent naître les préjugés. Encore plus quand la situation se corse…
 
C’est un peu ce qui se passe dans L’horizon d’une nuit de Camilla Grebe. Le roman se déroule dans une banlieue cossue de Stockholm, au tournant du millénaire, alors qu’une jeune fille disparaît. Tristement, le peu de traces qu’elle a laissés derrière elle laisse croire à un suicide: elle se serait jetée dans la mer du haut d’une falaise, mais on n’a toujours pas trouvé de corps. Évidemment, sa famille est dévastée et c’est par cette porte que nous entrons d’abord dans cette sombre histoire à voix multiples.
 
Des affaires de famille
 
La première partie nous est racontée selon la perspective de Maria, la mère de cette famille que nous découvrons reconstituée. «Baba cool» mature, Maria partage encore les valeurs d’ouverture de son adolescence et sa rencontre avec Samir, son nouveau mari, a littéralement redonné un sens à sa vie. Le fils de Maria, Vincent, est atteint du syndrome de Down et, contrairement à ce que pourraient laisser croire nos préjugés, Vincent est, vraiment, le rayon de soleil de la maisonnée. 
 
Yasmine Foukara, la disparue, est la fille de Samir. Son père, chercheur en oncologie d’origine maghrébine, a émigré en Suède avec elle depuis la France après un grave accident d’auto dans lequel il a perdu sa femme et son autre fille. Même si la relation père-fille est souvent tendue, la nouvelle famille Foukara incarne le type même du «nouveau départ» et elle a déjà quelques années derrière elle quand le drame survient.
 
C’est Maria donc qui nous raconte d’abord ce qui s’est passé. Bien vite on prend conscience de son amour inconditionnel pour Vincent et sa passion pour Samir, un homme bon, cultivé, doux et aimant. Sa nouvelle famille représente tout pour elle. 
 
C’est aussi par Maria qu’on apprend à quel point Yasmine est une adolescente tourmentée et volage qui risque de blesser le frêle Tom, son «chum», un garçon que Maria connaît fort bien puisqu’elle l’a «gardé» souvent depuis sa toute petite enfance. En surface, tous les éléments et les personnages du drame sont déjà là, sauf le plus important: les policiers chargés de l’enquête ne croient pas à la thèse du suicide. 
 
Ils cherchent plutôt du côté du père, Samir. Ils ont recueilli des témoignages dont celui d’une promeneuse affirmant avoir vu deux ombres près de la falaise; quelques vêtements aussi et des traces de sang appartenant à Yasmine et prouvant qu’elle s’est débattue. 
 
Même si Samir n’est pas musulman pratiquant, les policiers saisissent un exemplaire du Coran trouvé dans sa bibliothèque. Ils identifient aussi des images floues sur les caméras de surveillance d’une décharge; elles montrent un homme dont la silhouette est conforme à celle de Samir se débarrassant d’un sac… qu’on n’a pas retrouvé. 
 
À partir de ces éléments, les deux enquêteurs sont convaincus d’avoir trouvé le coupable, décident d’arrêter Samir et l’accusent d’un «crime d’honneur». Maria n’y croit pas, proteste et rage de voir Samir en détention préventive avant son procès… mais le doute s’installe peu à peu. Elle n’est pas raciste comme sa mère — qui lui parle du «poids de la culture» — et certains amis, mais n’empêche qu’elle doute de plus en plus. De plus en plus souvent. Même quand le procès avorte et que Samir est libéré faute de preuves.
 
À partir de ce moment, quelques lourds préjugés vont causer d’irrémédiables préjudices.
 
Des voix autres
 
On ne vous en dira pas plus sur la série de rebondissements qui suit la libération de Samir sauf que la «nouvelle famille» éclate. Et comme pour mieux nous faire saisir l’ampleur de la débandade, de nouveaux narrateurs prennent la parole.
 
C’est Vincent qui amorce l’exercice. Vincent qui nous fait saisir la dimension cataclysmique de ce qui lui tombe dessus, lui qui aimait profondément Yasmine, sa meilleure amie, et papa Samir. Lui qui a tout entendu, tout vu ou presque et qui prend la décision de ne plus jamais parler à personne, quoi qu’il arrive. 
 
Cette section du roman implique un changement de ton remarquable dans l’écriture. Camilla Grebe parvient à rendre de façon crédible le monde plutôt simple et sans beaucoup de nuances dans lequel vit Vincent dans des phrases limpides et claires au vocabulaire précis.
 
Mais Vincent ne sera pas le seul à prendre la parole. Yasmine, par exemple, viendra raconter sa version de la «réalité suédoise» et Maria elle-même reprendra le récit plusieurs années plus tard… après qu’on ait eu droit à la tranche de vie de l’un des flics chargés de l’enquête. 
 
De tout cela ressort, à travers le témoignage d’une impressionnante galerie de personnages «authentiques», un effroyable cafouillage à peine tempéré par un océan de bonnes intentions vite asséché. Heureusement, malgré la confusion et le passage des années, tout cela permettra de mettre la main sur un homme violent et dangereux.
 
L’horizon d’une nuit est déjà le cinquième roman de Camilla Grebe. Et sans doute, son plus réussi.
 

L’horizon d’une nuit
Camilla Grebe
Traduit du suédois par Anna Postel
Calmann-Lévy — Noir
Paris 2022, 448 pages
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